Après Sept ans au Tibet, Jean-Jacques Anneau poursuit sur sa lancée de films à grand budget dans un contexte scénaristique de guerre avec l’une des batailles les plus décisives de la seconde guerre mondiale : Stalingrad. La bataille avait déjà été montrée au cinéma, y compris sous l’angle de vue des soldats allemands, ici l’angle d’approche sera celui des tireurs d’élite russes énormément mis en avant par la propagande soviétique et relayé dans les mémoires de l’un des plus illustres d’entre eux. A travers le duel entre 2 snipers parmi les décombres, le film de guerre se révélera finalement assez intimiste une fois son introduction grandiloquente passée.


Après le petit résumé d’usage pour remettre les événements dans leur contexte, le film aborde très vite les choses du côté des soviétiques, mais notamment des soldats soviétiques et de leur souffrance, envoyés au front sans formation, ni équipement approprié, chargés de lancer des vagues d’assaut désespérées pour stopper l’avancée ennemie et épuiser leurs ressources, interdits de retraite sous peine de se faire exécuter sur le champ de bataille et de voir sa famille à l’arrière déportée. Jean-Jacques Annaud étend néanmoins cette critique à toute armée recourant à de larges sacrifices humains, y compris l’armée française, tout en précisant par ailleurs que bien ou mal, il est terrifiant de se dire que sans cette stratégie, l’Allemagne nazie aurait pu l’emporter :



Envoyer de la chair à canon à l’ennemi pour l’épuiser, nous avons pu le faire nous français pendant la guerre de 14, en envoyant comme chacun sait d’abord les sénégalais, ensuite les cochons et enfin les bretons.



Beaucoup de tacles sont faits à la société soviétique mais assez justes pour la plupart, rappelant le pacte de non-agression germano-soviétique, montrant des figures prétendument héroïques finalement désabusées opposant les dures conditions de vie des soldats aux conditions de vie luxueuses des officiers les plus importants… Le summum est atteint par le discours émouvant d’un propagandiste énumérant toutes les promesses du socialisme et ses échecs de par l’enfer qui l’entoure et ses choix personnels, humains mais contraires à l’idéologie. C’est très cohérent avec le récit mené et ça prend appui sur bon nombre d’écrits soviétiques réels.


Le IIIème Reich est encore plus taclé face à cela bien entendu, même si quelques éléments rappellent que les ennemis demeurent humains, qu’ils peuvent avoir une famille qui les attend à la maison, qu’ils subissent également des pertes qui les motivent au combat… ils sont surtout caractérisés par leur violence permanente, leur discipline très rigoureuse et bien sûr par des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont ils se rendent coupables, parfois gratuitement. Encore une fois, ces critiques sont très vraisemblables d’un point de vue historique et très cohérentes de par le récit qui est mené, pas grand-chose à redire à ça.


Toujours concernant son écriture, il y a un petit côté thriller au film avec le personnage de Sasha, présenté comme un jeune garçon idéalisant Vassili, puis comme espion pour l’Allemagne, le suspens quant à sa réelle allégeance tient assez longtemps et génère également du suspens pour les duels de tireur d’élite où ses renseignements peuvent faire toute la différence. Le casting principal mais aussi secondaire est d’une grande solidité dans son ensemble pour des personnages simplement mais efficacement caractérisés, à l’image du trio : Jude Law le jeune héros valeureux et vertueux, Ed Harris l’ennemi imposant et impitoyable, Rachel Weisz la brave et belle combattante...


La complicité entre les bons gars qui offrent des moments relaxants, le triangle amoureux qui amène une porté dramatique, la diabolisation de l’ennemi que l’on veut voir abattre en même temps que les personnages… tout fonctionne bien. L’interprétation de Bob Hoskins pour Nikita Khrushchev est extrêmement soignée alors que très secondaire dans le récit, même quand les personnages n’ont quasiment aucun temps à l’écran, il y a souvent des petits éléments discrets pour qu’on s’y attache un peu de manière à ce que leur disparition nous impacte a minima. Le récit profite ainsi d’une très bonne qualité d’écriture mêlé à une très bonne interprétation dans l’ensemble.


Si quelques scènes de batailles profiteront d’un très grand nombre de figurants, de longs mouvements de grue, d’une multitude de véhicules en mouvement… le concept du film a l’audace de mettre l’accent sur une mise en scène très différente pour rendre intéressants les duels de sniper. En misant sur la vue subjective de rigueur pour refléter le point de vue des tireurs, la réalisation profite aussi d’idées plus originales, comme lorsqu’elle nous fait suivre principalement un point de vue, nous montre des éléments de danger encore imperceptibles pour le personnage suivi alors qu’en réalité le danger viendra finalement d’ailleurs.


On a aussi le reflet dans un miroir qui permet à deux snipers de s’observer mutuellement depuis leur cachette avec des mouvements de caméra permettant de bien comprendre leurs regards, c’est aussi efficace que singulier. La mise en scène élaborée peut aussi se retrouver dans certains dialogues avec par exemple un long plan ininterrompu avec la caméra se rapprochant lentement du visage d’une actrice en plein monologue alors que ses larmes gagnent ses joues ou un zoom progressif sur les yeux d’un acteur de la même manière, c’est un travail plutôt discret mais efficace.


L’OST de James Horner, sa deuxième collaboration avec le réalisateur depuis Le nom de la rose, est très efficace dans le registre épique et fait bien le travail pour la mélancolie et la tension, tout en empruntant suffisamment aux grand classiques soviétiques de l’époque pour que l’ambiance ait la touche d’authenticité suffisante, ça passe par des chants traditionnels russes chantés par les figurants ou encore par des notes issues de grandes musiques classiques. La plupart des scènes les plus marquantes sont indissociables pour moi de leur musique et leur rythme colle tellement bien aux images que je peux facilement revoir les scènes précises en écoutant les musiques.


C’est signe pour moi d’un grand travail au montage pour appuyer très justement une tension grandissante, une inversion de rapport de force… par le son, un point souvent attendu dans les films de guerre par ailleurs. Si la version originale comprendra quelques phrases en allemand et en russe pour l’ambiance, l’anglais reste la langue principale par soucis de facilité pour les acteurs, étant donné que cette ambiance peut profiter d’un travail artistique et musical très soigné, ce n’est pas très grave. Il est à noter que le doublage français est de très grande qualité, ce que je trouve assez rare.


Le décor de la cité ouvrière recouvert par un ton très grisâtre illustre parfaitement une splendeur devenue vestige, le soleil refaisant son apparition uniquement à la fin du récit pour une direction artistique peu subtile mais appropriée. La photographie est directement inspirée des fresques du musée dans l’actuel Stalingrad, idem pour les costumes, accessoires… et certains monuments et célèbres bâtiments de la ville à l’époque ont été reconstitués fidèlement, permettant au film un haut degré de réalisme, malgré tout de même quelques fausses notes et libertés d’adaptation, presque inévitables j’ai envie de dire et franchement pas bien grave, voire pour le meilleur.


Stalingrad aborde la guerre par un angle d’approche assez original, très spécifique à sa bataille, en s’inscrivant dans le plus grand respect de la réalité historique à bien des égards tout étant très cinématographique entre sa mise en scène singulière très élaborée, son récit romanesque très captivant, son casting global très solide, son OST très efficace… C’est un film de guerre très complet et la preuve qu’un réalisateur français peut réussir à l’international, le film ayant un succès critique et commercial très honorable, avec les qualités d’un grand divertissement, un propos critique très juste et une personnalité pleine et entière.

damon8671
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le 26 juin 2020

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damon8671

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