Raccorder l’autrefois avec l’aujourd’hui

Ce qu’il y a de très beau, dans Still Life, c’est cet entrelacs de la vie et de la mort, de la marche entreprise par deux personnages pour retrouver leur famille et des champs de ruines qu’elle doit traverser, encore et encore, tout en prêtant l’oreille afin, peut-être, d’entendre une voix familière ou l’écho d’une sonnerie de portable enfoui avec son propriétaire sous les décombres. Un même plan-séquence ouvre et referme le long métrage : il s’agit d’un long travelling circulaire qui passe en revue l’équipage d’un bateau sur lequel voyage l’homme d’abord, la femme ensuite, les plaçant tous les deux à la marge de la société et à l’extrême pointe de leur présent, soucieux de raccorder l’avant avec le maintenant, de recoller les morceaux d’une photo de famille qui s’est déchirée avec le temps.


Jia Zhang-ke n’a pas son pareil pour croiser les destinées apparemment singulières d’êtres tourmentés, en révolte contre un système politique injuste qui chasse de leurs maisons ses habitants. Tous les personnages sont des expulsés qui sillonnent des terres jusqu’alors inconnues, qui vivent sur des bateaux amarrés selon les lieux de destination, qui se broient en broyant des immeubles dans lesquels autrefois ils auraient pu vivre, qui circulent en mobylette pour trois yens la course, depuis le port vers la rue inondée. Le cinéaste chinois capte ce qu’il reste de vie, un reste auquel s’accrochent des solitudes comme à des bouées de sauvetage, dans une série de mouvements lents, suivant l’esthétique des natures mortes. Chaque plan constitue ainsi un petit tableau, et sur chaque petit tableau un corps fait face à l’immensité d’un décor qui menace de l’engloutir. Et chacun des deux personnages, comme les deux faces d’une même médaille, comme ces billets qui, d’euros, deviennent des yens grâce au coup de baguette du magicien de fortune, se complètent, se suivent et se ressemblent, incarnations d’une Chine prise en étau entre son passé et sa modernité.


Still Life est un poème vibrant d’humanité qui nous touche en plein cœur en dépit de quelques longueurs et de l’aspect programmatique de son dispositif artistique.

Créée

le 7 nov. 2020

Critique lue 80 fois

2 j'aime

Critique lue 80 fois

2

D'autres avis sur Still Life

Still Life
SanFelice
9

Nature morte

Ce film est très important pour moi. Il m'a permis de découvrir Jia Zhang-ke, cinéaste majeur actuellement. Un de ces artistes dont la réalisation crée un monde unique, novateur et terriblement...

le 5 sept. 2012

29 j'aime

5

Still Life
Brad-Pitre
7

Pleines Gorges

Sans cesse le progrès, roue au double engrenage, fait marcher quelque chose en écrasant quelqu'un. — Victor Hugo Still Life est l'âpre portrait d'une Chine dont la mutation presse, asservit et use...

le 3 sept. 2015

7 j'aime

Still Life
Morrinson
6

Les adieux à Fengje

Still Life s'insère remarquablement bien dans le courant cinématographique chinois du début du XXIe siècle, que l'on pourrait qualifier de nouvelle vague critique, sociale et pessimiste, aux côtés de...

le 7 oct. 2021

6 j'aime

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

87 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14