Suicide, suicide... N’exagérons rien, mais ça m'a quand même un peu déprimé

Il y a quelques années, l'univers DC créait le Suicide Squad. Un concept simple et efficace : le gouvernement utilise des méchants ou des anti-villains de seconde zone pour accomplir des missions suicidaires, sous la menace ou contre des promesses. L'idée est amusante, permet de faire des histoires du point de vue des habituels antagonistes sans donner toutefois l'impression qu'ils gagnent à la fin, et permet de recycler ou de remettre au goût du jour des personnages menacés de ringardise ou de tourner en rond. Deadshot, Harley Quinn, Captain Boomerang ou Bane en ont ainsi profité. Tout ça est vite devenu populaire, et du coup...
Au début des années 2000, un épisode de l'excellent dessin animé Justice League propose un Suicide Squad de cinq personnes, où en 20 minutes, sans avoir le droit de tuer qui que ce soit ni même de dire le mot «suicide», ils réussissent à faire quelque chose de franchement sympa et mémorable. C'est ce qu'on appelle le talent.
Au début des années 2010 sort un spin-off animé des jeux vidéos Arkham, centré encore une fois sur l'Escadron Dépressif. Le bidule répond à tout ce qu'on peut attendre d'un film pop-corn de série-B de qualité : ça va vite, il y a des morts, de l'humour, des caméos, les personnages sont respectés... Bref, on s'amuse.
En 2016 sort... Ce film.
Et eeeeeuuuuuuuuuh... C'était un peu drôle ?


Suicide Squad est un film qui ne sait pas sur quel pied danser, et ce depuis le début de sa production. Présenté initialement comme un film sombre, mature, et ajoutez n'importe quel de ces adjectifs pompeux qui semblent indispensables à un film DC de nos jours, le projet fut ensuite annoncé à toutes fanfares comme une entreprise djeunz, cool, pas prise de tête et rafraîchissante. Tout ceci avec à peu près autant de naturel que la première version. Couleur fluos, caricature smileys et musique branchées étaient au rendez vous. Les one-liner et les comics relief pétaradaient jusqu'à plus soif. Promesse était faite, on en aurait pour notre argent !
Le résultat, de façon assez prévisible, est que les deux ambiances annoncées passent le film à se tourner autour, sans jamais réussir à se mélanger harmonieusement.
La faute déjà à une intrigue à-demi digérée, mêlant l'introduction des personnages, formation du squad, première mission, et attaque de Cthulhu sans vraiment de rapport avec le reste. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça ne colle pas vraiment. En gros, voilà comment ça se passe : Comme il n'y a pas vraiment de gravité dans les scènes du début, qui ne sont qu'une série de clips colorés, le scénar proprement dit n'avance pas grâce à elles et doit donc se baser sur des éléments extérieurs. Pour que la légèreté du début colle avec l'aspect sérieux de la suite, les rebondissements ne se font qu'à coup de torsions du caractère des protagonistes, et faute d'avoir vraiment su développer l'idée de base, on est forcé de la dénaturer à mi-chemin, pour en faire un classique scénario de super-héros. A mi-chemin du film, l'histoire est comme cannibalisée par une autre fiction, une où, comme dans chaque œuvre depuis la nuit des temps, des types s'allient pour sauver le monde.
Parce que oui, notre équipe de personnages improbables, dont la qualification première est, rappelons le, d'être des salopards criminels, va sauver le monde. Qui de mieux qualifié ? Qu'est ce que pourraient bien faire d'autre une bande de mercenaires forcés, constituée de psychotiques ou de mutants agressifs ? En tant que scénariste surpayé de Hollywood, je ne vois guère que cette option.
Remarque, quand je vois lesdits protagonistes, je me dis qu'ils ne méritent que ça. Leur plus grande qualité est d'être un bel et honnête exemple de mixité ethnique. Et c'est à peu près tout. Will Smith joue WillDeadSmithShot, un rôle qui lui va comme un gant, le type qui joue Rick Flagg fait sa plus belle imitation de Timothy Oliphant, Katana fait très jolie en fond, Captain Boomerang est d'une inutilité crasse que vient à peine compenser une bonne volonté évidente, El Diablo est le plus gentil des méchants gentils, Slipknot a atteint le point culminant de toute l'histoire du personnage. Quand à l'enchanteresse, elle fait tout son possible pour vous entraîner dans un autre film qui n'a rien à voir. J'vous jure, le plus crédible et humain de tous, c'est encore le gros homme-lézard cannibale qui a dix lignes de dialogue.
Et puis, il y a le cas du Joker et de Harley Quinn. Leur cas a été tellement débattu par tout le monde avant même la sortie du film qu'il me semble juste de laisser s'exprimer de plus grands esprits et d'en parler à travers des commentaires piochés sur Youtube.
« - Plus que le Joker, il ressemblait plutôt à un jockey. Haha. Hahahaha. »
« - C'est vrai ce qu'ils disent : il y a des dizaines d'interprétations du Joker. Et celle là, c'est celle d'un ado de quinze ans pas finaud. »
« -C'est n'importe quoi ! Tout le monde sait que le Joker a les cheveux longs, du maquillage qui coule, des cicatrices et qu'il passe son temps à philosopher sur sa propre folie ! »
« -Mais oui, mon garçon, tu es spécial. »
« -Quand Mark Hamill mourra, il n'y aura plus personne qui sache rire correctement. »
« -Leur prestation m'a tué, puis m'a ressuscité juste pour le plaisir de me faire très, très mal. »
« -MDR Comme si le Jokr il avais des tatouajes PD va, »
« -Je sais pas, ça sonnait juste pas vrai. Comme deux personnes dont l'interprétation de la folie se résumerait à faire des drôles de têtes, à sourire sans raison et à crier qu'ils sont fous. Plus l'illustration du commentaire. « Comment il est trop fou, lui » que quoique ce soit ressemblant au Joker ou à Harley Quinn. On n'y retrouve aucun des éléments inhérents aux personnages. Rien qu'un amas de clichés peu imaginatifs et oubliables. Moitié gangster, moitié psychopathe de cinéma, et encore une moitié de gentillesse hors de propos. Toutes ces moitiés donnent un couple 100% casse-couilles ».
Je n'aurais su mieux dire. C'est presque comme si j'avais inventé et écris tous ces commentaires. C'est fou.


La seule qui tire vraiment son épingle du jeu, au final, c'est sans doute Amanda Waller. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce que c'est une salope. Et que c'est exactement pour ça qu'on vient voir ce film. Pas pour des méchants pas si méchants qui regrettent leurs actions, sont gentils avec leur fifille, forment un vrai groupe d'amis fidèles, s'unissent pour vaincre le mal et prouver ainsi à la société qui les oppresse que ce n'est pas parce qu'on tue/mange/lance des boomerangs à son prochain qu'on a pas un cœur d'or gros comme ça. Ce qu'on veut, c'est de la moralité gris-noir, des conflits humains, des personnages qu'on puisse identifier avant qu'ils ne se fassent descendre, des héros sacrifiables, une ambiance légère de massacre de fête foraine, de l'humour noir, des enjeux légers qui provoquent des horreurs. Ce qu'il faut, surtout, c'est qu'on arrive à nous faire prendre le parti des méchants sans leur faire de concessions, en les présentant comme des humains, mais sans flatter le portrait pour qu'on ait pas honte de les apprécier. Faire un film Suicide Squad, c'est assumer. Et c'est ça là le plus grand échec de celui-là.
Mais on a pas un résultat aussi bâtard et boiteux sans raisons. Si vous voulez mon avis, la raison toute bête est que ce film a connu un titanesque ravalement de façade. Je m'explique : au début, je pense qu'ils avaient prévu un film ultra-sérieux, vaguement glauque, ou tout le monde fronce les sourcils, dit des phrases grandiloquentes d'un air convaincu et ou Jared Leto fait peur à ses collègues. Et puis un beau jour, ils se sont rendus compte que tout le monde s'en foutait/trouvait ça ridicule. Du coup, ils ont rajoutés des scènes rigolotes, mis des filtres néons à couleur de bonbecs partout où ils pouvaient, et couverts des moments lambda avec de la musique « pour plaire aux jeunes ». Bon, je n'en sais rien, je ne fais que supputer (apparemment, c'est un mot), mais c'est la seule explication que je vois au contraste continu que subit le film. Entre les répliques racoleuses et la timidité de l'intrigue, entre l'amoralité annoncée et le fait que l'on ne dégomme presque que des créatures zombies sans visages, entre une scène drôle ou essayant de l'être et une autre se prenant au plus parfait premier degré. Entre deux routes qui passent plus de deux heures à suivre le même chemin sans jamais se rencontrer.


Mais ne crachons pas dans la soupe. Bon, trop tard. Ne voyons pas tout en noir, alors. On ne s'ennuie pas. Les effets spéciaux sont impressionnants. Il y a quelques bonnes trouvailles visuelles. Quelques réparties vraiment amusantes. Quelques jolies filles, aussi. Les acteurs jouent dans l'ensemble (Dans. L'Ensemble.) plutôt bien. Bref, du divertissement qui fait le job. Qui le fait comme une caissière de supermarché qui ne dit pas bonjour, mais le fait tout de même. C'est juste que pour un fan de DC (ce que je suis, mais j'ai très honte), ça fait quand même un peu mal au fondement de voir des icônes aussi nobles que Captain Boomerang traitées n'importe comment. J'en appelle donc encore une fois aux producteurs : laissez tomber. Laissez tombez les douilles qui tombent au ralentis, laissez tomber les caricatures de gangsters, laissez tomber les couleurs criardes, laissez tomber les personnages qu'on a pas le temps de connaître, laissez tomber le soundtrack aguicheur, laissez tomber l'apocalypse qui s'abat sur Telgruc-sur-Mer, laissez tomber le Batman joufflu, le Superman morose, laissez tomber tout ça. Profitez que Kevin Conroy et Mark Hamill soient encore vivants, et faites vous plaisir avec de l'animation. Ça coûtera peut être un peu moins que le PIB du Cameroun, et on échappera peut être à un autre Suicide Squad Artistique.

Kevan
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le 10 août 2016

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11 j'aime

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