Taxi Téhéran ou "La leçon de cinéma de maître Panahi".


Avec trois francs six sous, Jafar Panahi continue vaille que vaille et coûte que coûte à faire du cinéma. Du vrai, du bon, mine de rien. Son (faux) taxi est une métaphore à lui tout seul. Jafar Panahi est interdit de tournage et de diffusion en Iran, et il ne peut quitter le territoire. Qu’à cela ne tienne, il embarque trois petites caméras de surveillance dans une auto (j’en ai rapidement compté trois, mais peut-être n’y en a-t-il que deux... ou quatre !), complète le tout avec téléphone portable et appareil photo numérique, et envoie le résultat, monté, à Berlin, pour la Berlinale !


L’air de pas y toucher, sans pathos et avec une bonne dose de bonne humeur et même d’humour, Panahi autopsie son pays. Un pays "schizophrène", à l’image de quelques-uns des personnages qui viennent peupler son taxi. Et donne une leçon de cinéma, jouant sur la frontière entre fiction et réalité, tenant son spectateur constamment en éveil avec des moyens rudimentaires, par la seule force du cadrage et du montage, du travelling aussi, quelque part, et donc de la morale, comme dirait Godard, de l’esquisse, de la substance des personnages, du dialogue, enfin.
Il questionne l’art en général, et le cinéma en particulier (entre autres scènes savoureuses, j’ai aimé celle qui confronte le réalisateur, jamais à court d’idées mais qu’on empêche de tourner, à un étudiant en cinéma, libre de tourner mais qui ne sait pas quoi tourner !). Qu’est-ce que faire du cinéma dans un pays où le gouvernement a édicté une charte devant être respectée à la lettre (malgré quelques contours flous, comme celui de bannir la "noirceur") pour qu’un film soit diffusable ?


J’ai aimé aussi ces petites choses qui font qu’on mesure pleinement le sens de cette tournure usée jusqu’à la corde en nos contrées qu’est la "liberté d’expression". Par exemple, lorsque le dealer de films, qui avait un jour procuré sous le manteau à Jafar Panahi une copie du Midnight in Paris de Woody Allen qu’il avait absolument envie de voir, annonce tout enjoué à son client que, dès la semaine prochaine, il pourra enfin lui fournir les dernières saisons de The Big Bang Theorie et The Walking Dead, toutes choses interdites de diffusion en Iran, bien évidemment.
Panahi use de tous les subterfuges, se servant par exemple de son incroyable nièce - âgée d’une dizaine ou d’une douzaine d’années tout au plus, réalisatrice en devenir, jeune fille vive, volubile, sarcastique, au caractère bien trempé et à l’intelligence aussi aiguisée que celle de son oncle - pour faire toucher du doigt l’absurdité du système et établir un constat de l’état des choses. D’un même mouvement, léger comme une plume, il métaphorise et tourne en ridicule la chape de plomb religieuse qui pèse sur son pays, dans une scène cocasse mettant en scène deux vieilles bigotes et leurs poissons rouges... Du grand art, vraiment.

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le 17 juin 2015

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CharlieBrown

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