Christopher Nolan est passionné par le Temps, les enchevêtrements temporels et la multiplicité des points de vue. C'est un Leitmotiv dans la plupart de ses films, une marque de fabrique, il aime les variations sur un même thème. Memento, Le Prestige, Inception, Interstellar, Dunkerque, la notion du temps, du déroulement des actions est primordiale, elle conditionne le début et la fin. Le suspens reposant sur quelques indices qu'on dissémine et dont on comprends le sens au fur et à mesure que le point de vue évolue.
Avec Tenet, il nous fait rentrer dans une sorte d'anneau de Möbius temporel. On est à la fois en marche avant et marche arrière, au début et à la fin. Le héros (Denzel Washington Jr) rencontre son double du futur sans le savoir, ce qui conditionne les évènements qui vont suivre avant de replonger dans le chemin inverse. On observe l'action des deux points de vue, celui du John David Washington qui avance dans la temporalité 'normale' et celui qui remonte le temps, on est à la fois en marche avant mais on interagit avec des évènements en sens inverse, le point de bascule étant le moment où il monte dans la Saab du temps inversé. De même que les balles inversées reviennent dans leur chargeur, notre héros doit malgré tout les éviter, au risque de briser la boucle du paradoxe temporel dont le protagoniste et l'antagoniste sont une seule et même personne qui se bat avec elle même...
Le film est un casse-tête difficilement compréhensible et un défi à la hauteur du virtuose du montage qu'est Nolan. Clémence Poesy est pourtant là pour rassurer et guider froidement l'auditoire, le réalisateur nous ayant préalablement anesthésié en début de séance. On connaissait déjà le Bullet Time (Matrix) et le voyage dans le temps (L'Armée des douzes singes, Looper), mais Nolan invente un nouveau concept, celui où le temps 'normal' côtoie le temps inversé. Même Doctor Strange et son œil d'Agamotto ne propose une vision aussi littéralement renversante. A défaut d'un scénario lisible, certains y verront un exercice de style expérimental ou la démonstration d'un tour de force filmique. Le réalisateur s'amuse à semer la confusion et nous prendre à contre-pied (ou à contre-sens) pour finalement livrer une équation qui a sa logique propre.
Ludwig Göransson (et non Hans Zimmer...) est inspiré, il est au diapason avec Nolan, l'ambiance sonore et la musique ont des tonalités abstraites en accord avec la complexité du sujet. La 'contradiction' est d'avoir finalement opté pour une fin ouverte, cette idée de cercle vicieux, de boucle infinie et d'un scénario qui se referme sur lui-même étaient déjà réussis... Nolan ne réalise pas simplement le blockbuster de 2020, mais une œuvre très personnelle en point d'orgue d'une filmographie homogène et stylisée. L'autre coup de génie est que l'on soit tenté de le revoir plusieurs fois pour tout comprendre, à la grande satisfaction de la Warner, pour les téméraires qui n'ont pas eu la nausée la première...
Christopher Nolan est quelque part victime consentante d'une déformation professionnelle, à force de faire des essais de montage, slow-motions, fast forward et fast rewind, il rejoint Maurits Cornelis Escher, dans une œuvre qui touche à l’esthétique et à l'absurde. J'aurais bien mis un Sept qui rime avec Tenet, mais ce sera un grand 8 pour boucler la boucle.
PS : Michael Caine en éternelle guest star qui chaperonne tout ce beau monde, fait-il partie des constantes ou données invariables chères à Nolan ?