Il serait gênant de reconnaître Christopher Nolan dans ce nouveau grand pas, dès lors qu’il nous propose un divertissement généreux, mais bien plus complexe qu’il n’y paraît. On ne le présente plus, sa filmographie parle d’elle-même. Mais le réalisateur britannique se démarque déjà par bien des aspects techniques et autres thématiques, relatives à la narration croisée. Il explore de nouveau de nouvelles temporalités, misant davantage sur l’expérience sensoriel, ainsi que son paradoxe afin d’envoûter une audience à la fois avide de renouer avec les salles obscures et impatientes de se laisser prendre aux pièges des fantasmes. Et pourtant, malgré un équilibre du spectacle, du moins sur le plan évasif, l’œuvre troque trop rapidement son orgueil contre une démonstration technique à la fois innovante, mais qui révèle ses limites quant à la consistance scénaristique.


Il a souvent été pointilleux et s’applique davantage pour que son film d’espionnage n’assimile pas tous ses gimmicks. Malheureusement, c’est le cas et la prouesse technique qu’il met en avant ne fait qu’accentuer un manque de fluidité. Les transitions sont brutales et le cadre laisse l’inertie s’exprimer. Il est rare de le voir accompagner l’action, si ce n’est dans le climax. Impossible de laisser un plan au repos, car toutes les scènes sont animées d’une énergie, générée par des comédiens investis ou par cette fascinante exploration temporelle. Mais une fois encore, les codes de ces univers sont contradictoires, par manque de ressources. C’est pourquoi le film ne préfère pas entièrement revendiquer son décalage physique et métaphysique. Il mise sur la sensibilité du spectateur, loin d’être naïf, loin d’être le plus lucide.


Or, les émotions ne mentent pas et le long-métrage trébuche souvent sur la durée, qui impose un tempo aussi soutenu que sur un trampoline. Il y a des hauts et des bas, les effets sont présents, mais le film refuse de nous laisser digérer l’information. De plus, il mise certainement trop sur l’exercice visuel et en oublier de caractériser une partie de ses protagonistes. John David Washington incarne magnifiquement l’agent et l’ambassadeur du spectateur, car on apprend et on se perd en même temps que lui. C’est ce qui le distingue des autres héros nolanien, ceux que l’on nomme, ceux que l’on invite à prendre le dessus dans des situations litigieuses. Ici, ce héros échoue souvent et se rattrape comme il le peut. Son héroïsme ne fait aucun doute et c’est sans doute le premier personnage du britannique à s’élever à ce statut, le véritable. Ainsi, en flirtant avec les frontières anxiogènes de la tension, le réalisateur marque de véritables temps forts, si la plupart de ses fusils de Tchekhov n’ont pas déjà été désarmés par son audience.


De même, Robert Pattinson, qui campe l’agent Neil, continue de transpirer le charisme, l’efficacité et la sincérité, tout en incarnant cette vision nolanienne et nostalgique du genre d’espionnage. La complicité des deux compères est rassurante et évidente, ce qui n’est pas toujours le cas avec l’autre duo. Entre Elizabeth Debicki et Kenneth Branagh, c’est le second qui hésite et le même qui souffre d’une mauvaise impulsion, dans une mise en scène qui peine à lui rendre toute sa puissance dévastatrice. Il illustre fièrement les ambitions d’un réalisateur prêt à tout pour investir une double temporalité, une double narration complémentaire. Dommage que cette créativité n’exploite pas davantage cette quête spirituelle d’un passé à épargner et à relativiser, dès lors qu’il est possible de le confronter de nouveau.


En somme, on retrouve un peu de tous les ingrédients qui ont inspiré les concepts de Nolan, de l’illusion du rêve, du fantasme, du parallélisme, de la survie de l’humanité, ce qui n’en fait pas un film à part entière. Malgré la multiplication des décors et l’interaction rigoureuse entre l’écran et la salle, jamais un de ses films aura autant piétiner sur le fardeau de l’esthétique et de son puzzle mental. L’œuvre ne cherche pas à raconter, ni à nous attirer vers la contemplation, non. Elle n’est qu’un cocktail explosif et étourdissant, au même titre que sa bande son (Ludwig Göransson) exprime avec poésie et sagesse comment les hommes ne peuvent courir contre leur destinée. Et finalement, « Tenet » se veut certainement trop complexe, qu’il faudrait même compléter la séance d’initiation avec un second visionnage afin de mieux appréhender cette structure anamorphique. Il s’agit d’ailleurs de son principal défaut, qui aura beau gagné son pari sur l’expérience vécue, mais qui laissera de marbre ceux qui n’auront plus assez d’aspirine pour témoigner d’un spectacle semble-t-il virtuose. L’apprentissage doit arriver à maturité, qu’importe son sens de lecture.

Cinememories
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le 25 août 2020

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