Visuellement fascinant, le nouveau Nolan pêche par son concept bien trop complexe pour être honnête.

On aurait aimé l’adorer ce « Tenet » au vu du contexte actuel, le blockbuster censé sauver les salles et et le box-office. Après deux heures et demie intensives de bruit et de fureur on ressort de la salle totalement lessivé et quelque peu dubitatif. Nolan est l’un des plus grands cinéastes en activité c’est indéniable et sa filmographie, à la fois variée et cohérente, le prouve. Elle compte nombre d’œuvres inoubliables, des monuments du septième art même, tels que « Le Prestige », la trilogie Batman et surtout son meilleur film à ce jour, « Inception ». Cependant, ses trois derniers opus, une probable trilogie achevée, avec en leur centre son obsession du temps, confirment un problème qui risquent de le couper d’une partie de son public : la difficulté voire l’absence de compréhension. En effet, il fallait déjà s’accrocher avec « Interstellar, notamment à cause de son jargon scientifique mais c’était possible et la poésie du drame qui se jouait surmontait cette faille. Puis vint « Dunkerque » et sa temporalité éclatée que l’on ne saisit qu’à la fin. Moins emballé par ce dernier personnellement, mais force était de constater l’excellence technique et visuelle des deux films. Ici ces défauts et qualités sont exacerbés et cela aboutit à la fois à une expérience de cinéma dantesque et à une question évidente. Nolan est-il honnête?


En effet, l’idée de la temporalité inversée vraiment incroyable et jamais vue, c’est narrativement et visuellement époustouflant, il n’y a rien à redire. Mais si on y regarde de plus près on en vient à se demander si Nolan lui-même ne s’est pas noyé dans son concept, au niveau du scénario en tout cas. Défions n’importe qui n’ayant pas un doctorat en physique quantique de comprendre et saisir l’intégralité de ce long-métrage du premier coup. C’est totalement abscons pendant au moins la moitié du film et si ensuite l’histoire, les enjeux et les motivations des personnages se décantent un peu, il reste pas mal de zones d’ombres. A la toute fin, tout s’éclaire un peu plus et les rebondissements tombent mais c’est au prix de plus de deux heures de casse-tête mental. Alors oui on aime bien se creuser les méninges et le cinéma intellectuel et réflexif mais Nolan prend un malin plaisir à complexifier les choses, notamment dans des litanies de dialogues techniques assommants et débités à un rythme mitraillette. A se demander si ce n’est pas parfois pour masquer au mieux des trous et invraisemblances logistiques et logiques dans son script dans le meilleur des cas. Et, au pire, pour faire le malin et se montrer plus intelligent que son public. Car ici la complexité de l’intrigue et des concepts est tellement excessive et exagérée que cela en est fatigant.


Ou alors, comme le dit l’un des personnages, il ne faut pas tenter de comprendre mais préférer ressentir le concept. Et là en effet peut-être que cela passerait mieux. Ou revoir plusieurs fois le film pour en saisir les tenants et les aboutissants dans leur intégralité (et vérifier si tout se tient réellement). Paradoxalement, « Tenet » dure deux heures trente mais on ne les voit pas passer tellement tout va un rythme effréné mais appréciable. Et s’il y a une chose que l’on ne peut nier, c’est la maestria visuelle impressionnante et totalement inédite de son film. L’idée est folle et confine au génie et si elle n’est pas assez vulgarisée pour le public elle est parfaitement aboutie visuellement. Les séquences d’action monstrueuses et complètement folles s’enchaînent dans des lieux magnifiques partout à travers le monde, un peu comme dans un James Bond, mais définitivement high tech et avant-gardiste ici. Les plans sont sublimes et cascades, fusillades et morceaux de bravoure sont chorégraphiés à merveille. On peut décrocher l’œil parfois, par manque de clés de compréhension » Mais ces séquences incroyables restent de l’ordre du jamais vu et sont agrémentées d’une partition musicale lourde, épique et tout aussi dingue que les images qu’elles accompagnent. Une bande sonore qui fait penser aux sonorités du deejay français Gesaffelstein.


On peut noter aussi le casting hors pair mis en place ici. John David Washington découvert dans « BlackKklansman » de Spike Lee est un héros parfait en tous points et qui fait la nique à ceux qui voulaient justement un agent 007 noir. Kenneth Branagh devrait plus souvent retourner devant la caméra vu la qualité piètre de ses réalisations. Ici, en méchant, il est impressionnant et crédible, tout aussi sans pitié que vraiment terrifiant. Le reste du casting est à la hauteur mais impressionne peut-être moins surtout que Nolan ne creuse pas ou peu la psychologie de ces personnages préférant se concentrer sur le concept et le rythme. On regrette aussi le fait que de sauver l’héroïne, chose d’une trivialité confondante, fasse partie des enjeux du film. Le temps est une obsession chez Nolan et il a poussé le concept à son paroxysme, s’embrouillant peut-être ici et nous embrouillant surement, que ce soit sur le fond nébuleux et parfois aussi sur la forme (les combats ou poursuites inversées sont aussi décoiffantes que parfois étranges à regarder). Mais « Tenet » reste dans ses qualités comme ses défauts un sacré morceau de cinéma innovant, fou et visionnaire qui a le mérite de tenter autre chose et d’y aller à fond. Pour le pire et pour le meilleur tout de même avec juste une pointe de prétention intellectuelle en trop…


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JorikVesperhaven
6

Créée

le 27 août 2020

Critique lue 231 fois

2 j'aime

Rémy Fiers

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