Tenet : Les limites conceptuelles de Christopher Nolan

Réalisateur alliant grand spectacle et fibre « film d’auteur », Christopher Nolan est un cinéaste attendu aussi bien que rare. Pour des raisons différentes, on peut le classer parmi les derniers dinosaures d’Hollywood, comme James Cameron ou Steven Spielberg qui, depuis des décennies, livrent des films uniques, marqués au fer rouge par leurs styles et obsessions personel(le)s. À l’heure d’un uniformisme de plus en plus poussé à Hollywood, motivé par des studios aux pleins pouvoirs, certains films sont la promesse d’un spectacle inédit. Et comme à son habitude, à savoir proposer un film qui ne prend pas son public par la main, le réalisateur de la trilogie Dark Knight va jouer comme jamais avec nos méninges, retrouvant avec Tenet l’une de ses thématiques de prédilection : le temps. Raconté à l’envers dans Memento, suspendu le temps d’un rêve dans Inception, résonnant à l’autre bout de la galaxie dans Interstellar… Le temps obsède Nolan. Si bien que même dans un film comme Dunkerque, il divise son histoire en trois temporalités distinctes qui finissent par se recroiser. Bref, Chris Nolan aime tellement le temps qu’il le traite même quand il n’en a pas besoin, réinventant sans cesse cet élément qui devient un concept propice à un film aussi démesuré qu’inédit. Et si l’on résonne en ces termes, Tenet est son projet le plus ambitieux à ce jour.


L’histoire s’ouvre avec un homme appelé « le protagoniste ». Agent de terrain pour la CIA, il prouve sa valeur au cours d’une mission qui le lance pour mort. Un décès prématuré qui lui ouvre les portes d’une organisation dénommée « Tenet ». Plongeant dans l’univers de l’espionnage international, il va devoir déjouer un complot qui dépasse les limites du temps alors que la survie du monde est en jeu.


Cela a été dit partout et par tous, et c’est bien vrai : Tenet est le James Bond de Christopher Nolan. Film d’espionnage de grande envergure, il partage tous les codes de l’ADN 007, si ce n’est que là où ça aurait été impossible avec le célèbre espion, Nolan peut ici y insuffler toutes ses obsessions, faisant ouvertement flirter Tenet avec la science-fiction. Comme avec Inception, le mélange des genres fait le boulot, offrant au spectateur des séquences rarement vues sur grand écran. Car malgré son propos fantaisiste, la principale force du film tient dans son authenticité. Ou plutôt celle de son réalisateur, dans son désir de faire du cinéma à l’ancienne, privilégiant les extérieurs et les maquettes là où les autres blockbusters privilégient le studio et les fonds verts à outrance. Bref un univers tangible que les acteurs peuvent toucher au lieu d’imaginer. De quoi leur permettre de fournir de bonnes performances, même si Kenneth Branagh cabotine un peu au passage, mais juste ce qu’il faut. Des interprétations qui s’imbriquent dans un voyage à 100 km/h où le rythme ne faiblit jamais. Même si la matière grise met un certain temps à ingérer toutes les informations que communiquent le film, souvent un peu trop verbeux d’ailleurs, on ne s’ennuie pas une seconde.


Pour un film ô combien conceptuel, Tenet est justement la première victime de son concept. Cette fois seul maître à bord à l’écriture, Nolan a visiblement lâché les chiens, couchant toutes ses idées les plus folles sur papier. De ce fait, Tenet est un film « mind fuck ». Un vrai. Qui va vous retourner le cerveau, reléguant Inception et ses différents niveaux de rêves à une petite promenade de santé. Or comment garder l’intérêt du spectateur en éveil s’il ne comprend pas le quart de ce qu’il voit ? Faute d’assimiler, il faut donc se laisser porter. C’est d’ailleurs ce que l’on dit au personnage de John David Washington dans le film, véritable aveu en filigrane de Nolan pour son public. Un aveu d’échec aussi ? Sans doute. Car si l’on peut toujours savourer les différentes nuances que propose un film après de nouveaux visionnages, il est rare qu’on soit obligé de les accumuler pour comprendre le film lui-même. Un comble, sachant que le film est au final très simple dans ses intentions puisque très manichéen. Les gentils sont très gentils, dopés d’une coolitude à toute épreuve, face à un méchant très méchant et très russe (James Bond on vous dit). En somme, Christopher Nolan n’aura jamais fait aussi compliqué… pour faire aussi simple !


Au rayon des griefs, on peut aussi pointer du doigt l’éternelle froideur (certes élégante) qui se dégage de l’ensemble du film. Ce n’est pas nouveau, au contraire de Spielberg par exemple, Nolan n’a jamais réussi à pleinement humaniser ses personnages. Si les acteurs font le taff, ils ne sont pas aidés par une écriture paresseuse à ce niveau. Encore une fois chez le réalisateur, le concept est roi, l’émotion passe après. Dans Tenet, il rate le coche avec le personnage d’ Elizabeth Debicki en fait les frais. C’est fort d’hommage, car s’il alliait les deux, son cinéma (déjà excellent) tutoierait les sommets. Là où Nolan se rattrape toutefois, c’est dans les scènes d’action. Lui qui a toujours été vivement critiqué sur la question, montre qu’il est capable de s’améliorer. Moins cutées, elles gagnent en lisibilité et en ampleur, bien aidées par un montage impressionnant. Car une nouvelle fois, l’action est aussi victime du concept du film. La plupart du temps, Nolan se veut impressionnant en montrant une scène tout simplement montée à l’envers pour donner l’effet d’inversion. Un procédé qui n’est ni nouveau, ni sensationnel. Un constat en demi-teinte, qu’on pourrait appliquer au film dans sa globalité. D’un côté Tenet symbolise à la fois la quintessence du cinéma de Christopher Nolan tout en montrant ses limites en tant que réalisateur et scénariste.


Ticket ou Télé ? Ticket, pour faire du bien au cinéma en général et parce que le film a été pensé, comme souvent chez Nolan, pour le format IMAX.
Dur dur d’avoir un avis tranché sur Tenet après un visionnage. Une fois n’est pas coutume, le dernier film de Chris Nolan déchainera les passions, alimentera les débats et cultivera les maux de tête. Du divertissement intelligent, comme toujours, mais qui cette fois oublie un peut qu’il doit divertir et non verser dans le trop plein de « la physique pour les nuls ». Cinéaste exigeant, notamment avec son public qu’il ne dorlote pas comme dans la plupart des blockbusters actuels, Nolan risque cette fois de laisser du monde sur le bas côté. Irréprochable sur la forme, Tenet piétine un peu sur le fond, la faute au réalisateur/scénariste qui use ici pleinement de ses pleins pouvoirs… pour le pire et le plus compliqué. En poussant ses obsessions pour le temps à leurs paroxysmes, Nolan livre avec Tenet un bon film inutilement complexe, qui aurait sans doute fait davantage mouche en collant à ses personnages et non à un concept sur-intellectualisé qui lui échappe en cours de route.

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Créée

le 14 juil. 2021

Critique lue 40 fois

Valentin Pimare

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