Difficile de dénouer les fils du dernier film de Lars von Trier. Après l’œuvre monumentale qu'était Nymphomanic, The house that Jack built en reprend les principaux éléments, mais l'inversion de certains détails donnent à ce nouveau film une dimension assez différente.


Alors que Joe se sentait victime de sa condition dans Nymphomaniac, Jack est un genre d'incarnation du mal qui ne connait pas de remords. S'intéresser à un tel tueur en série conduit à un film très réfléchi et froid. La psychopathie incluant l'impossibilité à ressentir de l'empathie pour autrui, il nous est donc difficile d'en éprouver pour Jack, simple machine à tuer au comportement mécanique, qui se grippe par moments (la scène des tocs). Jack est un exécuteur, et un exécutant, au service d'un art selon ses propres définitions et ne rendant aucun compte.


Jack dévoile ses crimes au travers de cinq "incidents" retraçant son évolution en tant que meurtrier. L'arme du premier crime, presque provoqué par la victime (auto-stoppeuse qui rigole du fait que Jack pourrait être un tueur) est un cric ("Jack" en VO) et on y entend de manière répétée "The jack is broken" évoquant les premières cassures dans l'esprit malade de Jack. Mais alors que les premiers meurtres sont réalisés sur des impulsions et non ou mal préparés, progressivement, le but de Jack devient d'élever le meurtre au rang d'art d'abord à travers quelques polaroïds puis, gagnant en confiance, de manière de plus en plus mis en scène.


Observer cette fusion de l'art et de la violence, c'est l'occasion pour Lars von Trier de revenir sur son propre travail et ses films passés souvent ouvertement provocateurs. En effet, là où Nymphomaniac était construit sur le mode de la confidence, les dialogues de The house... sonnent plutôt comme une confession, qui résonne comme une volonté de rédemption de la part du réalisateur . Le personnage de Jack est constamment condamné et jamais Lars von Trier n'ose effleurer une quelconque apologie du crime. Les digressions de Jack sont toujours rejetées par Verge, son auditeur autant guide de Jack que du spectateur, par des "Suis-je obligé d'écouter ça ?". Alors que la probité du confesseur était questionnée dans Nymphomaniac, ici Verge est un personnage d'un bloc auquel on peut se raccrocher sans ambiguïté. Cette volonté de rester hors de toute empathie du meurtrier persiste jusqu'à la toute fin (du film et de Jack), d'une esthétique digne de celle réservée aux méchants des films de Walt Disney.


Vieillissant, grisonnant et évoquant son alcoolisme (dans le film, la scène du lampadaire semble aussi liée à ça), Lars von Trier semble fatigué. Le temps n'est donc à la provocation facile, mais à la réflexion sur l’œuvre passée. Les fictions de Lars von Trier, violentes mais toujours centrées sur l'humain seraient-elles un moyen d’extérioriser les pulsions de mort régnant en chacun de nous ? C'est ce que propose une séquence des extraits de films du réalisateur viennent suivre cette question. Lars von Trier ne peut d'ailleurs empêcher son humanisme d'aller jusqu'au bout, puisqu'alors qu'il semble éluder complètement la dimension émotionnelle de son film, il décide dans un geste final de la concentrer en un unique point. Alors que son trajet vers l'enfer est déjà assuré, c'est devant une vision idyllique lui rappelant son enfance que Jack verse une larme. Mais pour Jack, il est trop tard et impossible de faire demi-tour. Mais est ce aussi le cas pour Lars ?


La répétition du style (dialogue entre deux protagonistes, chapitrage, digressions, montage d'images diverses) déjà complètement exploité dans Nymphomaniac déçoit à première vue lorsqu'on découvre The house... Ce style reste cependant d'une diabolique efficacité (les 2h30 filent à une vitesse folle) et bien que le film soit très froid du fait de la condition de son personnage principal, la véritable émotion est peut être à rechercher du côté de Lars von Trier, qui mettant de côté ses habituels pieds de nez propose un film plus posé (et donc désarçonnant), peut être celui d'une nouvelle maturité.

yhi
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le 2 nov. 2018

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