A Madagascar, un des rites funéraires les plus fascinants s'appelle le "retournement aux morts". Il s'agit de faire revenir le mort parmi les vivants car pour certains malgaches, la vie ne cesse pas après le décès. C'est une étape dans la continuité physique de la vie. Ainsi les morts sont exhumés un an plus tard et on les fait "danser" sur une musique entraînante. Parfois, pour compléter ce retournement, les fantômes des proches apparaissent et sont très bienveillants.


Si le tueur nous explique une certaine conception de la mort, Von Trier semble, lui, faire une mini rétrospective de toutes ses facettes, il tourne la page de ses thèmes de prédilection, et même si ce film-ci est clairement plus frontal - à juste titre - l'auteur garde en tête des points de vue qui certes ne légitiment pas la série de meurtre mais font réfléchir sur nos tabous, nos préconçus manichéens, en plus de m'avoir terroriser pendant plusieurs jours. Terrorisé à tel point que je ne savais pas quoi écrire et que je repensais aux malaises que ce film m'avait provoqué. Un film rare et très abouti, au moins autant qu'il est en roue libre.


Alors comment noter ce film dans le contexte actuel ? Notons que les victimes sont souvent abusées sur fond de misère sociale, d'indifférence, familles recomposées, exclusion sans glisser une seconde vers le pathos puisque le principe c'est de trouver des victimes, et souvent des femmes. Nous vivons dans une époque qui fait beaucoup de victimes. Des victimes médiatisées. Toutes les victimes du psychopathe ont une difficulté sociale : manque d'argent, de considération, de solidarité, etc.
Jack est une quantité infinitésimale de cruauté et de grotesque dans cet océan de violences. Il est très secondaire tout compte fait. C'est intéressant du coup, non pas comme une dénonciation, mais comme un travail prémâché pour assassin de pacotille. Oui, j'affirme qu'un système qui entretient des inégalités est une couveuse pour psychopathes.


On ne tire du plaisir dans ce film que dans les à-côtés, les monologues a priori décalées et qui font respirer le récit de ces cinq panneaux. J'ai entendu la critique du "Masque et la Plume" dire que c'était de la violence gratuite. Cette critique-là est superficielle, elle ne comprend pas le film et le personnage et reste définitivement sur ses ergots de préjugés concernant nos conceptions culturelles de la mort et de ses rites.


J'ai aussi une vision un peu moins manichéenne que certains exploitent, considérant que le cinéma de Trier parle du Mal et de la Nature ambivalente du monde. J'admets qu'il dit cela aussi mais je ne préfère pas m'étendre sur un refrain qui dirait que l'idée humaine - et donc son mal - est au centre du mouvement du monde. Je me penche sur une vision holistique et je pense que c'est bien plus intéressant d'aborder son cinéma sous cette forme au risque de passer pour moralisateur soi-même, que l'on apprécie ou pas. Même si j'ai apprécié ce film parce qu'il est conçu comme une chose grande et étriquée à la fois, tout le monde s'accorde à penser que c'est une annexe, une chose mineure dans sa filmographie. Disons que c'est la fève sous la couronne. Cela ne dit rien de plus de son oeuvre sinon qu'il aborde pour une fois de manière frontale un thème de prédilection : "le saisissement compréhensif du malheur". Et par là, je défends quiconque de lui trouver une misanthropie puisqu'il n'y a qu'une sensibilité humaine pour appréhender cette compréhension.


Pour une fois, le final est "sain" et je reconnais ici que Trier confirme à mes yeux son statut d'auteur "de morale sans morale" avec ces contes chapitrés. C'est-à-dire qu'il peut chatouiller le public avec une grossière référence à Hitler et en même temps affirmer que l'enfer ne sied qu'aux enfants qui l'ont engendré sur Terre. D'ailleurs une vision aussi claire et quasi-médiévale des enfers peut apparaître comme assez troublante, scopique et donc jouissive.

Andy-Capet
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le 31 oct. 2018

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