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Je ne pense pas me tromper en disant que "The Irishman" était l'un des films que j'attendais le plus de cette année. Simplement le fait de voir le nom de Martin Scorsese me faisait envie. Petit monsieur de 77 ans, mesurant seulement 1m63 mais une taille loin d'être proportionnelle à la hauteur de son talent, démesuré sans doute. Le cinéaste revient au source de son cinéma et de ses œuvres les plus cultes avec un genre qu'il connait et maitrise si bien. Après "Casino" et "Les Affranchis", il clôt une trilogie sur le monde des gangsters, monumentale et marquante dans l'histoire du cinéma. "The Irishman" est la preuve que même à un âge avancé, le cinéaste est encore capable de faire un film portant un impact sur le cinéma en général. Ce qui n'est pas le cas de tous ses collègues ayant eux aussi eu des heures de gloire pendant les années 80/90. Parmi Spielberg,De Palma ou encore Coppola, Martin Scorsese est resté le plus fidèle à lui-même, en gardant une ligne de conduite qui lui a permis de ne faire aucun faux pas tout au long de sa carrière aussi vaste que riche.


"The Irishman" est une grande fresque historique sur le crime organisé en Amérique. Mais il semble être avant tout un film testamentaire pour son réalisateur. Ce dernier regarde une dernière fois en arrière et tire sa révérence par le biais d’un plan final qui fait sens sur la question. Toutefois, il n’en n’est rien pour le moment, mais ce ne serait pas étonnant d’apprendre une nouvelle de ce genre concernant une fin de carrière pour le grand monsieur qu’est Martin Scorsese. En 3h30, il fait une introspection de sa filmographie et de sa carrière de cinéaste. Mais avec ce nouveau long-métrage, il revient à la genèse de ses grands succès, des œuvres qui ont marqué le cinéma d’une empreinte très forte. Néanmoins, il n’est plus question de tomber dans la violence de son sujet ou l’extravagance des films de gangsters ou de mafias comme étaient ses films "Casino" et "Les Affranchis", ou encore un excellent "Scarface" de son confrère Brian De Palma, et ne tombe pas non plus dans les savoureux excès d’un film comme "Le Loup de Wall Street". Ici, le film s’éloigne d’un fond habituel du genre – drogue, femme, violence, ou meurtre –. Tout est mesuré et convient à une certaine forme de maturité. Scorsese est pour la première fois très sage et accentue son film sur des symboliques très fortes comme la vie et le temps qui passe, la vieillesse à une place majeure notamment. Ceux qui pensent voir une œuvre survoltée, ancrée dans une certaine forme de dynamisme et de violence comme c’est le cas dans d’autres films de Scorsese, seront très probablement déçus ou ennuyés. "The Irishman" est avant tout un film sur l’homme et ce qui englobe ce vaste sujet, ce qui peut l’animer au fond de soi. C’est ainsi que le scénario maitrisé de Steven Zaillian, s’associe avec un brillant tour de force au niveau de la réalisation du maitre Martin Scorsese.


Une durée phénoménale de 3h30 peut faire peur, aussi bien au studios, qu’aux spectateurs. C’est notamment pour cela qu’il est sorti sur Netflix, un choix regrettable mais utile pour que l’on puisse voir ce film un jour, et ce jour est arrivé. De plus, un film qui respire autant le cinéma aurait mérité d’être vu dans les salles obscurs. Certains ont eu cette chance, d’autres non et j’en fais partis. Cependant, ce n’est pas pour autant que je n’ai pas pris énormément de plaisir à le découvrir, lui et sa durée colossale mais qui se montre, au final, totalement justifiée. Cette fresque expose l’écoulement d’un récit qui narre la vie d’un homme. Hormis de petites longueurs, élément qui peut très probablement disparaitre au second visionnage, l’histoire est passionnante. Elle prend son temps pour instaurer le contexte, son protagoniste principal et les personnages qui l’entourent, ou encore une forme de dramaturgie qui va suivre le fil scénaristique du début à la fin. C’est une histoire de gangsters qui reste constamment dans les grandes règles de l’art. Dans la retenue, le film sait frapper fort quand il le faut. Le reste du temps, ce sont des longs dialogues qui sont exposés, écriture brillante pour les composer. Le film touche à l’amitié, à la famille et s’entoure d’un côté émotionnel qui déversera tout ce qu’il a accumulé dans un plan final très profond et sensé. Cette plongée au cœur d’une Amérique profonde est montrée avec beaucoup de subtilité et de force. C’est assez fascinant la façon dont le récit est raconté et m’a emporté avec lui pendant sa longue durée.


Le film, malgré ses infimes longueurs, ne laisse pas une seconde l’inutilité envahir les scènes. C’est un rythme constant qui est travaillé, un rythme qui sait tenir en haleine, surprendre et emporter dans les bons moments. Cela provient notamment d’une énergie si particulière qui découle d’une fluidité dans le montage, lui aussi excellent et rendant le tout très prenant. L’aspect technique du long-métrage est abouti. On peut néanmoins reprocher le processus de rajeunissement pas tout à fait au point sur Robert De Niro, alors que d’un autre côté il est très bon sur Al Pacino ou Joe Pesci. L’utilisation des effets spéciaux donne ici, tout de même, un rendu pertinent même si on peut garder en mémoire que cette nouvelle technologie n’est pas totalement au point.


Martin Scorsese n’a plus rien à prouver au niveau de la réalisation. C’est un génie, cela est indiscutable. Ce film montre bien son talent de metteur en scène, dans l’exécution et le sens de ses plans. Le travail du cadre, la mise en scène foisonnante d’idées, les travellings savoureusement nombreux, les longs plans et cadres fixes, ce film est loin de la folie dont le cinéaste a pu faire preuve auparavant. C’est ainsi qu’il s’aligne et s’accorde avec le ton du long-métrage. Il est plus posé et calme, c’est pour cela que la mise en scène suit cette lancée. Difficilement reprochable, la réalisation devient alors irréprochable.
La magnifique photographie accentue dans le visuel, l’époque dans laquelle le film se déroule et y donne plus de saveur, ainsi qu’une reconstitution impressionnante d’une seconde moitié de 20ème siècle américaine, subliment l’ensemble de l’œuvre. "The Irishman" est alors, l’un des plus beaux films de cette année 2019.


En tête d’affiche, difficile de faire plus attirant. Trois légendes du cinéma, au service d’une quatrième légende qui se trouve elle, derrière la caméra. Robert De Niro décroche le rôle principal et fait de son personnage, l’une de ses meilleures prestations d’acteur. Il habite le protagoniste Frank Sheeran, à un tel point que les différentes phases de sa vie semblent correspondre à celle de l’acteur. Il est très émouvant, notamment sur la partie où il devient de plus en plus âgé. Dans un brio constant d’acting, il livre très probablement, l’un de ses derniers grands rôles lui qui, ces dernières années, a eu du mal à en retrouver. Désormais, cela est résolu.
Au bout d’une heure apparait la deuxième grande légende du film, Al Pacino. Autant dire qu’il se fait remarquer et vole la vedette au casting, dans chacune de ses scènes. Quasiment 80 ans, et toujours autant de charisme et de prestance face à la caméra. Il interprète en excellant dans son rôle, le célèbre Jimmy Hoffa. Mais ce film marque un nouveau face à face entre les deux grands noms Robert De Niro et Al Pacino, plus de 20 ans après le mémorable "Heat". Dans ce dernier, la rivalité était au cœur du récit. Ici, c’est une complexité qui se passe entre les deux, permettant de proposer de belles scènes partagées.
Joe Pesci, troisième légende, bien qu’il soit inférieur aux deux autres, est sorti de sa retraite pour travailler au service de Scorsese. Cela aurait été dommage de ne pas profiter du talent de l’acteur, lui qui brille une nouvelle fois face à une caméra. Pendant 3h on le retrouve en forme et se montre excellent en étant dur, très juste et émouvant sur la fin. Un autre grand nom à qui il sera difficile de dire au revoir, bien que son plan final en dise beaucoup.
Harvey Keitel, Stephen Graham, Bobby Cannavale ou encore Jesse Plemons, d’autres beaux noms qui se montrent très bons dans ce film. Ils n’ont peut-être pas autant de classe ou de panache que les trois autres acteurs, mais tous sont assez différents et complètent le casting. De plus, ce sont de bons acteurs et ces derniers le prouve plus d’une fois dans ce film.


"The Irishman" était l’un des évènements cinématographiques de cette année. La réunion de grands noms du 7ème art, qui se termine sur un grand signe d’adieu. Dans la filmographie de son réalisateur, ce long-métrage porte une résonance particulière et se montre comme une œuvre testamentaire, mais surtout, l’un de ses films les plus marquants. C’est un grand film, une complexité profonde, un portrait de l’homme dans toute sa splendeur et ses défauts. Assurément, l’un des film majeurs de cette année, peut-être même de la décennie pour ce qu’il représente de fort chez les hommes derrières et le monde du cinéma.


8.5/10

Créée

le 30 nov. 2019

Critique lue 256 fois

3 j'aime

J_Cooper

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