J'ai beaucoup attendu que le film fasse son chemin dans mon esprit avant de lui attribuer une "note". J'aurai préféré juste en parler et me passer de la notation car cela me fait mal de mettre moins de 9 à un film de Scorsese. Quoi qu'il en soit, The Irishman est un film tellement dense qu'il est difficile de le considérer comme un tout homogène.
Pour être simple et efficace, je dirai que ce film s'adresse avant tout aux fans du metteur en scène et du film de gangsters en général car celui-ci se pose comme un point final d'une grande époque de cinéma. Il agit comme un regard nostalgique posé sur le passé, un regard calme, désabusé, presque cynique, et cela transparaît dans le film. Celui-ci est plus qu'encré dans son époque, car Scorsese n'a pas tenté de faire du Scorsese made in seventies et à au contraire réalisé un film bien actuel.
Il s'agit de l'introspection d'un homme sur son passé meurtrier, un témoin plus qu'un personnage actif car celui-ci se contente de suivre des ordres tout au long du métrage. Il le dit lui même : "c'était comme à l'armée, on nous disait de tuer quelqu'un, on le faisait".
Cette posture aussi distante du personnage face à son environnement et ses actes peut facilement poser problème et empêcher le spectateur de s'y identifier pleinement. Il ne faut pas s'attendre à voir le De Niro des Affranchis ou de Casino. Malgré sa présence en tête d'affiche, il n'est qu'un personnage parmi tant d'autres, une gravure historique comme Joe Pesci ou Harvey Keitel qui semblent s'imbriquer, paradoxalement, dans une histoire vraie. Le seul qui s'efface complètement derrière son personnage (et ce n'est pas une critique des autres acteurs) c'est Al Pacino. C'est celui qui m'a le plus impressionné et pour lequel j'ai ressenti le plus de peine car il se heurte de plein fouet aux manigances et aux principes des pontes de la mafia, tout comme le spectateur.
L'intrigue principale reste extrêmement floue, encore plus que dans les précédents films de mafia de Scorsese, on se retrouve perdus la plupart du temps car ce qui l'intéresse sont les faits anecdotiques plus que les grands actes narratifs. Le plan séquence de l'assassinat de Albert Anastasia en est la quintessence : on ne sait pas qui c'est, on ne connait pas l'homme avec lui, on ne connait pas ceux qui viennent le réduire au silence, mais on est plongé dans la scène car le cinéaste nous propose un plan magnifique de technique et la musique est grandiose.
On passe donc une grosse partie du film déboussolés, seulement orientés par la voix off du personnage principal, mais l'on comprend véritablement où Scorsese voulait en venir durant la dernière demi-heure, véritables adieux à un genre, à des acteurs, et remise en question également des choix d'un homme au cours de sa vie.
En bref, j'ai adoré ce film d'un point de vue technique, j'ai adoré voir tous ces acteurs au sommet de leur forme, j'ai adoré passer 3h30 dans cet univers qui me plaît tant et devant cette audace filmique et narrative. Néanmoins, j'en garde un petit goût amer car j'aurai aimé plus de profondeur dans le personnage de Franck Sheeran, j'aurai aimé plus d'homogénéité dans le déroulement de l'intrigue, mais je comprends où Scorsese voulait en venir et son point de vue actuel sur le cinéma, la remise en question de nos choix, ses questionnements sur la vieillesse, la mort, la rédemption me touchent particulièrement. The Irishman reste un très grand film, l'un des meilleurs de la décennie mais il n'est pas le chef d'oeuvre ultime que j'attendais. De toute façon, il l'a déjà réalisé, il s’appelle Casino.
Bref, rien que pour ce film, ça vaut le coût de payer un abonnement d'un mois sur Netflix.