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The Irishman... un projet que j'aurai attendu comme le Messie, depuis son annonce il y a déjà dix ans. Un magnum opus scorsesien que j'aurai fantasmé comme j'ai fantasmé peu de films. Une arlésienne que j'ai parfois craint de ne jamais voir aboutir. Mais ça y est, nous sommes en octobre 2019 et Martin Scorsese nous présente enfin son vingt-cinquième long-métrage : The Irishman. Et l'excitation est à son comble. Pensez donc ! Une nouvelle fresque mafieuse par le maestro Scorsese ; une neuvième collaboration avec Robert De Niro, une sixième avec Harvey Keitel, une quatrième avec Joe Pesci ; des retrouvailles inespérées entre De Niro et Al Pacino vingt-quatre ans après Heat ; un film-fleuve de presque 3h30 ; une exploitation encore inédite de la technologie de rajeunissement numérique : tout ou presque dans ce projet vendait du rêve et promettait l'un des plus beaux moments de communion cinéphile de ces dernières années.


Et c'est effectivement ce qu'est cet Irishman, qui tient globalement toutes ses promesses. Je ne pense pas trop m'avancer en disant là que Scorsese nous a offert ce qui sera bientôt une nouvelle référence du genre, aux côtés des Affranchis et de Casino. Retrouver son acteur fétiche Robert De Niro en tête d'affiche dans un film enfin digne de ce nom, après vingt ans d'un insondable n'importe quoi en guise de carrière, fait évidemment chaud au cœur, comme le fait de retrouver le retraité Joe Pesci, dix ans déjà après sa dernière apparition au cinéma - dans un film que de toute façon personne n'a vu. Très agréablement surpris d'ailleurs de le voir autant à l'écran. Je pensais que sa participation tiendrait plus de l'apparition amicale et qu'il n'apparaîtrait qu'une poignée de scènes mais non, Pesci est en fait très présent dans le film et s'offre un rôle aussi conséquent que celui d'Al Pacino. A la bonne heure !


Al Pacino qui est lui la véritable attraction de ce film, complètement déchaîné dans la peau du légendaire Jimmy Hoffa. Contrairement à De Niro, qui semble désormais jouer dans tout ce qu'on lui propose, Pacino a lui eu le bon goût de se faire plus rare - en conservant par là même une certaine aura. Le revoir enfin, deux mois après son apparition chez Tarantino, dans un rôle d'envergure, chez Scorsese qui plus est, tient du don du ciel. Lorsqu'enfin, après une demi-heure de film, il apparaît à l'écran dans ce rôle de tribun charismatique et ingérable, Pacino, flamboyant, les bouffe tous. Face aux sobres De Niro et Pesci, Pacino se lâche et nous ressort un numéro digne de la grande époque. Je ne m'attendais pas à ce qu'il en ait encore autant sous le capot. C'est génial !


Légère déception en revanche en ce qui concerne Harvey Keitel qui, pour le coup, n'a lui qu'un rôle anecdotique et doit n'apparaître que dans trois scènes. Mais soit. Le trio De Niro - Pesci - Pacino assure le spectacle. Ils ont 230 ans à eux trois, mais qu'importe ! Il n'est jamais trop tard pour donner une leçon d'acting aux nouvelles générations.


Et puisque l'on parle de leur âge, abordons le sujet sensible, celui qui suscitait le plus d'appréhension, j'ai nommé : le rajeunissement numérique. Le film se déroulant sur plusieurs décennies et mettant en scène ses personnages principaux à différentes âges de leurs vies, le pari fou a été fait de les rajeunir numériquement. Ce point était personnellement celui qui m'inquiétait le plus et... à raison, puisque, soyons honnête : le résultat n'est pas complètement abouti. Les têtes de De Niro et Pesci lors de la première partie du film - leur rencontre puis les premiers "petits boulots" du premier pour le second - sont quand même plutôt dégueues, puisque leurs visages font complètement faux. C'est lisse, les bouches bougent étrangement, ils semblent un peu figés... bref, ça ressemble à de l'animation. Difficile de trouver le résultat convainquant. Au cours d'une scène qui voit De Niro passer à tabac un épicier, on sent bien qu'il n'a pas quarante ans. Il n'est pas agile, ses coups de pied sont misérables : quelque chose cloche.


Fort heureusement, cela ne gâche pas le plaisir, et surtout, plus le film avance, plus les années passent et plus les personnages vieillissent et retrouvent leurs "vrais" traits. Du coup, ça va, parce qu'il n'y a vraiment que pendant la première demi-heure que le rajeunissement pèche. On est depuis longtemps passé à autre chose lorsque le film s'achève.


Et quel film ! Un pur régal. Déconcertant, parce que beaucoup plus posé et beaucoup moins violent et drôle que ses prédécesseurs mafieux Les Affranchis ou Casino - donc aux antipodes du particulièrement déchaîné et féroce Le Loup de Wall Street - mais tout aussi puissant émotionnellement. Comment se résout-on à abattre celui qui a fini par devenir son meilleur ami ? Comment assume-t-on son rôle de père quand on choisit une vie de criminel ? Ces deux questions sont au cœur du film. L'accomplissement, la famille, l'amitié, l'allégeance, la culpabilité, la vieillesse, les regrets, la solitude... The Irishman brasse de nombreux thèmes très forts et pose finalement un regard infiniment noir et cruel sur la vie de criminel. A ce titre, le dernier plan, déchirant, s'affiche comme une synthèse parfaite de ceux de Casino et des Parrains 1 et 3 (tous parmi mes plans finaux préférés). Et quel plan... En le voyant apparaître à l'écran, je me suis dit qu'il était parfait, qu'il fallait impérativement que le film s'arrête dessus. Alors quand un autre plan suit, je me dis que merde, c'est dommage, que Scorsese a loupé le coche. Mais non, le plan précédent revient et le film s'arrête dessus... Parfait.


C'est un film qui je pense en décevra beaucoup sur le coup (c'était mon cas dans une certaine mesure) parce que moins excitant et jouissif que les autres films mafieux de Scorsese, parce que très long (pour ma part, les 3h30 sont passées comme 2) et épuisant voire éprouvant mais c'est un film d'une richesse immense et d'une puissance émotionnelle surprenante.

ServalReturns
8
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le 17 oct. 2019

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ServalReturns

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