Entretenons la magie et laissons l'aventure aux intendants

Le sixième cru de James Gray (après le mal-aimé The Immigrant avec l'injustement raillée Marion Cotillard) n'est pas un film sur l'exploration, l'aventure, la découverte ; ni sur des convictions à défendre, ou un combat face à ses contemporains. C'est un film sur l'entreprise d'un conquistador du XIXe, ambitieux mais inaccompli faute de vivre dans un monde encore en friche ou encore magique. Jusqu'à la conversion absurde (au point qu'une telle conclusion ne dément qu'à moitié) de Fawcett, son histoire est celle d'une ambition déçue ; ensuite, jamais rassasiée. Il consent des efforts démesurés, fait preuve d'un grand courage, pour peu de résultats favorables. C'est un type qui devait avoir plus que les autres, de faim et de volonté, plus d'amertume ou à prouver, pour arriver au-dessus de la mêlée. Lorsqu'il prend la tête d'une cohorte c'est encore une faible reconnaissance. Cela en fait une sorte d'aventurier 'ambigu', d'intégré turbulent, non par rapport à la société (qu'il estime assez peu) mais dans la façon de traverser l'existence. Il se dépense pour élever son (pré)nom mais reste fuyant. Il n'obtiendra qu'une admiration fluctuante et des salutations officielles, quand il fallait un Graal, une raison supérieure, frappante au-delà des titres et des médailles, pour être un homme d'exception.


Le film porte un point de vue trop contemporain sur les questions sociétales et politiques ; trop car presque exclusivement – il n'y a que la force de la reconstitution pour tromper à ce sujet. Nous sommes décidément en 2017 et c'est l'heure du blâme de l'homme blanc (année du triomphe surprise de Get Out – et de la sortie de Fences), qui a fait tant de mal et refuse de considérer des civilisations plus vieilles que la sienne - et sa religion. Pourtant il faut bien être religieux, ou bien pire borné et superstitieux, pour juger d'égal à égal la culture de ces tribus et les résultats de l'Occident. Attribuer à l'empire perdu des splendeurs dépassant les nôtres aurait été plus acceptable sur tous les plans. Le ridicule est poussé jusqu'à faire s'extasier (lors du retour) l'équipe de Fawcett devant l'agriculture locale et le mode de vie si intelligent des autochtones. Le personnage de Pattinson est en tête sur le front – Edward est enlaidi pour l'occasion, ses poils font déguisement ce qui dénote un peu avec l'ensemble, limpide et plutôt sublime. Cependant le film reste nuancé d'un point de vue progressiste, car son Fawcett recèle encore une grosse impureté ; son féminisme est inaccompli et comme toujours avec ces compagnons de bonne volonté, la bête peut resurgir. Ainsi une scène au lit avec sa Jicky tourne au psychodrame, car Fawcett y préfère le réalisme à la générosité utopique – se montre paternaliste pour utiliser un terme plus intègre. Quelle ironie, de la part d'un homme qui deux minutes avant se réjouissait d'apprendre l'humilité à ces « esprits étriqués » incapables de concevoir leur équivalence avec des soit-disant sauvages.


Lost City of Z est un biopic très partial, resserré dans ce qu'il choisit de retenir et de montrer (tout en ayant un style évasif). Il nous met au niveau de la trajectoire du protagoniste, de sa vue sur elle plutôt et balaie le reste autour (la scène avec la voyante le souligne, directement en un plan où la jungle est apparue autour d'elle). Factuellement son odyssée tient de la succession d'échecs – relatifs, car il arrive à faire l'unanimité dans son temps, est approuvé socialement. Son ultime expédition avec son fils est une victoire en elle-même ; il assimile sa lignée à un grand projet, lui donne l'opportunité de s'inscrire dans l'Histoire. Son voyage en plusieurs temps devient une sorte de mythe. Il gomme et transcende son histoire personnelle, égaie les foules (c'est indiqué à la marge), probablement l'imagination des naturalistes. Par conséquent la deuxième moitié est plus intéressante ; quelque chose dans la fougue et le mensonge se perd, comme s'ils devenaient obsolètes au fond. Tout devient plus fluide, comme déjà réalisé ; Fawcett et sa mission sortent du temps. Si la cité perdue devait sortir de terre, la dépression pourrait même surgir à son tour. L'exploit serait donc sur le chemin, l'aboutissement concret serait un couronnement dont à la rigueur on peut se dispenser s'il faut que tous rêvent – même s'il manque une case au récit de l'admirable explorateur.


Cela donne un film d'aller-retours, décollant continuellement pour s'étaler, stopper, revenir au point zéro avec gravité, une obscure maturité acquise (assortie d'un plus haut statut), du lourd à envoyer – toujours du lourd pour le futur. Malgré ce qu'il tient dans sa besace, Lost city paraît presque plat. Il s'attarde sur des affaires entre mondanité et sérieux au début puis dans chaque entracte, se répand dans du Conrad light (responsable indirect d'Apocalypse Now) avec l'expédition maudite, où on se sent s'avachir et dont on revient vite et sans séquelles. Trop de choses sont éludées ; les obstacles, les difficultés, ne retiennent pas son attention ; les vraies crises, les moments de doutes sévères, sont carrément zappés. Les menaces restent à distance, on surnage en toutes circonstances, pour préserver la beauté de la quête ; par rapport au clip courant ou à la propagande spirituelle triviale, James Gray fait un travail supérieur. Il est possible que ces manières servent un dessein psychologique ; à l'arrivée c'est difficilement soutenable. Finalement Lost city of Z mène sa barque à proximité des gros films historiques pompeux avec 'thèse' (type Le discours d'un roi, ou même Imitation Game). Il n'a pas leur aspect 'mielleux pour les familles', a des ambitions plus psychiques, se pose du côté du rêve – qui se joue des réalités et appelle à briller au-dessus d'elle, en faisant comme si l'intendance était une non-question supprimée par l'idéal ou la volonté. L'avantage sur le biopic de série est surtout du côté des qualités techniques (au moins comparables à Jackie) et de l'exotisme en bandoulière.


https://zogarok.wordpress.com/2017/07/31/lost-city-of-z/

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le 31 juil. 2017

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