Cette Amérique d'après-guerre. Pleine de rêves brisés, livrée à elle-même
The Master est l’occasion de retrouver le bien trop rare Joaquin Phoenix sur les écrans, acteur certainement le plus doué de sa génération dans un grand film, preuve s’il en est que Paul Thomas Anderson peut encore surprendre. L’histoire plus ou moins évoquée du créateur de la Scientologie, ridicule à souhait et pourtant si séduisant qui croise le chemin de cet homme complètement paumé nous fait entrer dans l’année 2013 en nous promettant un grand cru.
The Master, c’est surtout l’histoire d’une confrontation d’idéaux, de deux hommes – Joaquin Extraordinaire Phoenix et Philip Seymour Hoffman – que tout oppose, réunis par le fruit du hasard. C’est l’histoire d’un ancien soldat revenu du front qui se cherche et qui sombre dans l’alcoolisme. C’est le rapport de forces qui existe entre les deux personnages principaux même s’il ne faut pas oublier l’influence plus que conséquente de la femme du gourou. On y voit une Amérique pas si prospère et deux êtres parmi tant d’autres en quête de savoir, de réponses qui n’ont par essence aucune possibilité de rester ensemble ; nous l’apprendrons au cours du film.
Tout les oppose et pourtant leur relation intrigue. Elle est comme fraternelle, deux membres d’une seule famille qui ont choisi des voies différentes, l’un vivant au jour le jour, sans maître, ivre du matin au soir, prisonnier d’un passé qui le hante, de ses erreurs et l’autre qui en voulant contrôler son monde se perd en explications farfelues et se ment à lui-même. Forcé à être convaincu pour devenir convaincant, il va se mettre en tête de sauver Joaquin Phoenix de son addiction et tenter de le rallier à sa cause. Si par moment, on peut hésiter quant à la position de ce dernier vis-à-vis des inepties qu’il entend à longueur de temps, on se rend vite compte que le propos importe peu, qu’il aime l’homme et qu’il entend bien le défendre, quoi qu’il puisse faire.
On va suivre ces destins qui finiront pas se séparer et on comprendra comment une secte peut monter en puissance lorsque les personnes qui croient sont aussi perdues. La bourgeoisie cherche d’autres distractions, Dieu n’est pas assez, il faut voir plus loin. Et il est effrayant de voir avec quelle facilité un beau parleur peut s’extirper de toutes les situations ou presque (perdant parfois le contrôle de ses émotions lorsqu’un esprit trop rationnel entre dans le débat). Le pouvoir qu’il exerce sur les gens qui gravitent autour de lui grandit à vue d’œil malgré des accusations évidentes de mensonge et pire, on voit à comment ce prétendu savant se fait manipuler par son entourage et notamment par sa femme – Amy Adams surprenante.
L’ensemble est passionnant et la photographie et la mise en scène sont superbes. On sent que chaque plan compte, que chaque détail est essentiel, depuis une introduction dérangeante à la scène de fin, les regards, la lumière, les flous sont autant d’outils indispensables au spectateur qui peut considérer la caméra comme un simple prolongement de son œil. On retrouve les petites habitudes du réalisateur et notamment les plans où les acteurs sont suivis par la caméra en dessous de la taille, ce qui n’est pas pour déplaire si tant est qu’on apprécie le style. Le style un peu barré d’un Boogie Nights n’est plus là mais laisse tout de même des traces et le style évolue. Il sera encore plus intéressant de voir ce que le réalisateur fera par la suite au vu de ce qui découle de sa filmographie depuis maintenant quelques années.