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The Vast Blague (il fallait bien que quelqu'un se dévoue pour la faire, ne me remerciez pas, j'aime

The Vast of Night a quelques qualités. Comme ça, c'est dit.


Son envie de, son désir pour, ses si j'osais ; comment voulez-vous fermer les yeux là-dessus pour lui coller les mandales critiques qu'il mérite ? Ce serait comme de vouloir battre le Chat Potté de Shrek avec ses propres godasses : on en a très envie, en notre for intérieur, ça bouillonne, ça démange, mais on ne peut pas, faut comprendre, la bestiole est trop mignonne, non mais vous avez vu ses grands yeux, un peu, quel monstre serait capable d'une telle ignominie ?


Même topo pour the Vast of Night, trop mignon pour être passé à la moulinette de l'humour pince-sans-rire, quand bien même a-t-il (et aura-t-il toujours) sa place attitrée dans le grand mixer de ma mauvaise foi.


Aussi vais-je devoir mettre de l'eau gazeuse dans mon pepsi sans sucre, ne serait-ce que par égard pour les nombreux spectateurs que ce film a touché (tant mieux pour eux) et dont je ne voudrais pas gâcher le plaisir, même par procuration (on me fait le coup assez souvent sur ce site pour que je n'éprouve pas quelques scrupules en la matière, je ne sais que trop bien ce que ça fait).


Il n'empêche.


Sur la base d'un postulat formellement intéressant, et fort d'idées personnelles prometteuses, the Vast of Night serait le film culte que nous vend Soderbergh (dont la seule incursion SF se limite à un remake tiédasse de Solaris, ce qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille), si le film en question ne loupait pas systématiquement TOUT ce qu'il entreprend, avec une prétention d'auteur inversement proportionnelle au résultat obtenu.


S'emparer de la nuit et la traduire en mots, en sons et en images : un beau projet, que soutiendra de manière inconditionnelle quiconque s'est déjà égaré (volontairement ou non) dans les ténèbres et le silence de la pleine campagne d'avant l'aube. L'esprit travaille à cent à l'heure, alors : vous vous sentez épié, ou seul au monde, le moindre crissement vous raconte des histoires à vous glacer le sang, vous vous sentez rapetisser sous les étoiles, les distances s'étirent, les voix s'étouffent, le monde se ouate, on allume le feu de camp, on fait griller des marshmallow ou des saucisses Herta pour-ne-pas-passer-à-côté-des-choses-simples, et on se chuchote des "il paraît que" ou des "j'ai un cousin qui" pour se foutre les jetons et en rire de conserve. Tout dans l'immensité, tout dans la suggestion et on devine que c'est précisément ce que ce film cherche à atteindre, cet état de transe à la frontière du réel qui vous prend quand remontent soudain des millions d'années de terreur atavique le long de vos neurones et que la peur se fait.


Le tout, à la sauce fifties, en forme d'hommage revendiqué (de façon très très TRES - trop - ostensible) à la 4ème Dimension.


Sauf qu'il ne suffit pas d'isoler les personnages, de les coller dans le noir, de faire crachoter la radio et de sortir les vieux bouquins de Von Daniken sur les rencontres du troisième type pour la dompter, cette nuit du commencement du monde, surtout quand on veut faire dans la subtilité. Pour un équilibriste de salles obscures, c'est quitte ou double, la chute ne pardonne pas.


A trop se regarder le nombril, et pas assez le ciel, the Vast of Night échoue à transporter le temps (réel, mais à quoi bon ?) d'un récit convenu, porté par deux beaux personnages, certes, interprétés avec justesse, certes, dans un contexte historique joliment mis en scène, certes, mais au déroulé sans surprise, sans l'ambition qu'il se réclame et qui joue trop souvent l’esbroufe pour être honnête.


Le tout, en cumulant les maladresses de débutant, sur lesquelles seuls les convertis de la première minute sauront fermer les yeux avec la bienveillance requise.


Ainsi :


Pourquoi introduire tant de personnages dans son prologue, avec des détails si charmants, si c'est pour n'en rien faire (du tout) ? Pourquoi cette histoire de magnétophone qui n'aboutit à rien ? Pourquoi cette histoire de trombone caché dans les vestiaires ? Pourquoi cette histoire de bobine unique pour enregistrer le match ? Ceci, sans qu'aucun de ces éléments (comme tellement d'autres) n'apportent quoi que ce soit, si ce n'est de donner au récit une fausse (et longue) "couleur locale" tendance "art et essai" ? Pourquoi, du reste, s’appesantir à ce point sur ce match, qui n'a finalement qu'un rôle d'arrière-plan et aurait pu n'être mentionné qu'au détour d'une conversation téléphonique, sans que le film n'y perde en densité (au contraire, il aurait pu gagner en suggestivité, on aurait pu finir par douter de son existence, de ce fichu match, se demander où sont vraiment passé tous les gens de la ville, s'ils n'ont pas disparu pour une autre raison, être tenté d'aller faire un tour pour vérifier, être détourné de notre chemin et ne jamais y parvenir...). Le but étant sans doute de faire contraster son effervescence (rassurante) avec le vide (angoissant) de la ville, ce qui ne fonctionne pas non plus, les deux étant géographiquement trop proches l'un de l'autre pour créer la tension (là encore, le réalisateur aurait pu renforcer l'impression de vide et de vulnérabilité en faisant disparaître d'un coup tous les spectateurs et joueurs, sans crier gare, c'est un ressort classique mais qui fonctionne toujours. Mais non : les spectateurs du match ont vu un match puis rentrent chez eux. Fin de leur partie de l'histoire).


Pourquoi cette référence visuelle explicite à la 4ème Dimension, aussi, avec allers et retours d'un côté à l'autre de l'écran, si c'est pour n'en rien faire non plus - hors le champ de la seule citation, totalement inutile puisque l'hommage aurait été identifiable sans ce clin d'oeil stérile (et un peu prétentieux) ?


Pourquoi ces moments soudain de noir total, là où d'autres sont mis en image ? L'idée est brillante, on en conviendra de bonne grâce, mais n'aurait-elle pas dû s'appliquer au film entier, plutôt qu'à quelques morceaux choisis quasi-au hasard ?


Au-delà, pour qu'elle fonctionne vraiment, cette idée, il aurait fallu que les histoires racontées par l'auditeur ou la vieille dame aient été plus étranges, plus glauques, plus inspirées, plus rythmées, plutôt que de se calquer platement sur des témoignages déjà lus et entendus un milliers de fois. Ce ne sont pourtant pas les exemples flippants qui manquent dans les bouquins spécialisés - sans parler du très fictif mais jubilatoire "Histoire Secrète de Twin Peaks", qui réussit haut la main ce que The Vast of Night essaie laborieusement.


Le plan séquence en ville est visuellement réussi, mais à quoi bon, encore, si ce n'est jouer la montre pour que la dynamique du temps réel soit respectée (laquelle n'apporte pareillement pas grand chose au film, tout en resserrant au-delà du crédible son espace-ville et les quelques péripéties qui s'y déroulent - la récupération des bobines à la bibliothèque, un grand moment de "il faut vraiment le vouloir pour y croire" parmi trop d'autres) ?


Points forts du film, les dialogues eux-mêmes sont trop étirés pour ne pas paraître suspects tant ils semblent aspirer à flatter l'orgueil du "vrai cinéphile" (ils se reconnaîtront. Ils se reconnaissent toujours), ouvrant de jolies pistes de développements à nos deux vrais-faux tourtereaux , dont (on l'aura anticipé) aucune ne mène où que ce soit. Encore, encore, encore.


Bien que ses quelques points d'ancrage historiques soient savoureux, ils ne peuvent sauver un récit qui va de son point A à son point B sans le moindre détour, la moindre ambiguïté, le moindre renversement : il veut raconter une histoire d'OVNI et il s'y tient, sans jamais s'éloigner des chemins balisés ni tenter d'apporter quelques nouveautés de bon ton à un genre suranné (si ce n'est des effets de style louables mais pas tout à fait maîtrisés). De sorte que le premier épisode d'X-Files est autrement plus efficace, dans ce registre (sans même parler de Rencontres du Troisième Type, auquel on ne peut pas s'empêcher de penser). A tel point qu'on se moque pas mal de voir ce qu'il y a dans le ciel, et de savoir si le film nous le montrera ou pas, au fond, tout comme le sort des protagonistes (attendu) ne nous intéresse que peu. Oh chouette, une soucoupe volante en CGI. ça faisait longtemps, dites donc.


Même la fin aurait pu ménager quelques séquences choc (l'un des deux personnages, se volatilisant à l'occasion d'un passage hors champ, lors de la course finale. A nouveau : effet classique, mais garanti). Sauf que non. Le dénouement ne surprendra personne, il est attendu en l'état dès les premières minutes.


De sorte que même si le métrage n'est pas désagréable à suivre, on le termine sur un amer sentiment de "tout ça pour ça". Le réalisateur aurait-il pris son problème à rebours, partant de la découverte de la bobine abandonnée pour essayer de remonter le fil des évènements à son écoute, témoignages des gens du cru à l'appui, qu'il aurait donné au propos un relief salutaire, avec ou sans images - lequel lui aurait donné l'opportunité d'aller au bout de son concept.


Alors effectivement, c'est un premier film, réalisé avec peu de moyens, financé par son réalisateur (qui en a également écrit le scénario), ok, respect, mais enfin, on est en 2021, ça n'a plus rien de rare, et donc d'exceptionnel : d'autres s'y sont frotté avant ça, et avec autrement plus de brio (même si pas sans défauts non plus) : Jamin Winans, James Ward Byrkit, Mike Cahill, Shane Carruth, Richard Kelly, Darren Arronofsky, Darren Paul Fisher, William Eubank, Duncan Jones, Justin Benson & Aaron Moorhead, ou même Christopher Nolan en son temps, pour ne citer que quelques-uns parmi mes préférés (merci de ne pas les égratigner juste pour me faire du mal, ce serait franchement mesquin).


On pensera notamment à Coherence, dont le récit rapporté, bien que plus concis, fonctionne davantage, et dont le rapport à la nuit, sa tension, ses mystères, transporte jusqu'à son final en demi-teinte - alors que le film a été tourné en sept jours dans la maison du réalisateur, avec sa femme sur le point d'accoucher à l'étage.


On pensera également au court métrage The Ten Steps, de Brendan Muldowney qui arrive à être plus efficace, dans un registre narrativement similaire, avec deux bouts de (grosses, pourtant) ficelles et en dix minutes que the Vast of Night en une heure et demi.


Aurait-il été mon "premier film de genre indé" qu'il m'aurait sans doute fait meilleure impression. C'est toujours un peu comme ça que ça se passe, en amour. Hélas (?), j'ai trop roulé ma bosse et j'en ai trop bouffé, du bon comme du moins bon. Si bien que j'ai vu mieux ailleurs, et n'en sors que frustré.


La nuit au commencement du monde, ce ne sera pas pour cette fois. Et j'en suis le premier déçu.


Télérama, il va vraiment falloir que tu sortes plus souvent.

Liehd
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le 21 févr. 2021

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Liehd

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