L’entreprise de démolition adoptée par Titane, celle qui doit amener le corps féminin à renoncer à sa sexualisation de prime abord exacerbée pour exhiber au spectateur la douleur, la brutalité et le trouble de sa condition, ne pouvait-elle advenir qu’en atrophiant l’humain au profit de thèses psychanalytiques ? La réalisatrice emmêle l’homme et la machine afin de révéler – voire de dénoncer – la mécanisation de corps contraints de vivre en marge et écrasés sous des névroses : un père bouleversé par la disparition de son enfant, une fille qui disparaît de son plein gré à cause d’un père dépourvu d’amour pour elle. Ce faisant, elle monte un théâtre de la cruauté qu’elle rend ludique au moyen d’une stylisation de chaque plan à la fois répétitive et prétentieuse, d’un goût pour l’hyper-violence et d’un florilège de chansons rétro qui rapprochent les nombreuses effusions de sang des clausules orchestrées par Quentin Tarantino.
Julia Ducournau refuse la subtilité et ne laisse pas vivre ses personnages, réduits à l’état d’automates qui interagissent les uns avec les autres par le choc ; dit autrement, elle précipite le processus de métamorphose entamé lorsqu’Alexia fait l’amour avec une Cadillac, elle ne donne ni à voir ni à vivre les étapes d’un bouleversement intérieur. Tout ce que nous percevons ne relève que du physique, se cantonne à l’extérieur d’un corps insondable sur lequel la réalisatrice projette pourtant un discours psychanalysant daté. Là réside le problème majeur de Titane : son incapacité à renoncer, une fois pour toutes, aux schémas préconçus des traumas pour atteindre la désincarnation revendiquée par son esthétique. L’ouverture du long métrage frôle ainsi le ridicule en ce qu’elle motive et donc construit le récit à venir comme le font nombre de blockbusters contemporains soucieux de conférer à leurs personnages fantoches une profondeur artificielle.
Grave (2016) jouait fort à propos la carte de l’initiation et concevait une violence par paliers ; Titane pose une temporalité massive qui empêche d’apprécier les progressions et les ruptures d’un processus figé de transformation. Surtout, il se complaît dans les sévices qu’il fait endurer à ses actrices et acteurs, cultivant la violence pour elle-même et dégradant l’expérience de cinéma en une prise d’otages « à la mode » aujourd’hui – voir, par exemple, le Benedetta de Paul Verhoeven. L’enthousiasme suscité par la réouverture des salles et le maintien du Festival de Cannes, l’attrait pour le cinéma de genre, tout cela semble avoir eu raison de l’acuité critique des membres du jury. Au moins l’alchimie recherchée par Ducournau aura-t-elle, en un sens, réussi : convertir non pas l’humain en titane, mais la boue en or.