Winfried a des défauts. Loufoque, intrusif, pataud si l’on parle du bonhomme. Beaucoup de défauts. Long, traînant, tout juste récréatif si l’on parle du film. Mais c’est avant tout une certaine idée de la nature humaine, en parlant des deux à la fois. Et le film ne cherche pas à être la comédie hilarante de l’année, loin s’en faut. Maren Ade prend le temps de nous montrer par des décalages (social, générationnel, culturel) la vacuité de l’existence d’Ines qui se complaît -et s’aveugle- dans une haute-société dont le côté pathétique semble vite mis-en-lumière par les facéties de son père. Auto-invité dans le quotidien de sa fille, il se rend vite compte du diagnostic : Ines paraît dévitalisée par ce train de vie alimenté par une frénésie de la performance. Sandra Hüller (Ines) campe à la perfection ce rôle d’executive woman, quadra, cadre, expatriée à Bucarest, en perpétuelle suractivité socio-professionnelle. Le père, dans un premier temps déboussolé par la sphère autour de laquelle sa fille gravite, décide de feindre un retour illico-presto en Allemagne. Partir pour mieux revenir, c’est alors que Winfried endosse le costume de Toni Erdmann. L’humour potache, spontané et régressif du farceur à moumoute et dentier se propage au sein d’un gotha aux mentalités snob, élitistes et arrogantes. Inutile de préciser le Fremdschämen* d’Ines. Au fil des situations, on ne saisit plus de quel côté de la frontière se situe l’absurde. Comme lors d’une visite où un travailleur est viré à cause d’une énième blague, puis Toni est accueilli par des villageois roumains d’une simplicité et d’une générosité toute naturelle. L’ensemble de ces décalages, qui discréditent le business-way-of-life, pose en filigrane la remise en question d’une forme de robotisation de notre quotidien. L’hyperactivité, au service d’une mégalomanie et d’un carriérisme patent, se jonche de rigolades, de malaises, de quiproquos, où le père et sa fille ne se comprennent pas dans un premier temps, puis parviennent à ajuster leur tempérament sur une même longueur d’ondes (notamment par la belle scène de la reprise de Whitney « Schnuck », secrétaire de l’ambassadeur d’Allemagne). Le langage corporel d’Ines me paraît également important, tout en contenance et en sobriété, dans lequel le détail de chaque geste en réunion est décortiqué via skype avec un professeur d’expression. Un culte de l’image-impeccable. Tout est calculé, millimétré, la blonde réglée tel un automate s’immisce, avec les bouffonneries de Toni, dans un processus de (re)mise-à-nu physique, psychologique et sentimentale. Vers l’essentiel. Maren Ade clôt son récit dans une scène où un deuil réunit la famille. Quoi de plus sérieux dans la vie que la mort, si ce n’est peut-être une timide grimace, dans laquelle se projette toute l’essence de l’instant présent, laissant entrevoir le rire comme vertu cathartique, bref une légèreté de vivre, dans un monde à l’esprit toujours plus embrumé et au cœur toujours plus lourd.
*en allemand, pour décrire le fait d’être gêné lorsque quelqu’un d’autre se ridiculise.