Under The Skin souffre clairement d'une structure inégale, d'abord celle d'un film SF expérimental rare sur nos écrans actuels, puis celle d'un film SF aux abords soudain bien trop conventionnels pour soutenir les 50 minutes qui ont précédées.

Le procédé de la 1ere partie est pourtant impeccable d'efficacité : alternant dépouillement visuel (éclairage et production design à la fois minimalistes et dantesques) et sonore (splendide musique électronique de Mica Levi) et l'ambiance urbaine pas très réjouissante de Glasgow (ça aurait pu être pire, ça aurait pu être Manchester...), Glazer a l'excellente idée d'utiliser des acteurs non professionnels face à Scarlett Johansson.

Le résultat est d'autant plus détonnant que, visiblement, une fois les atours de stars éliminés, personne ne reconnait l'actrice qui peut se balader en caméra cachée dans les Buchanan Galleries ni vu ni connu. Au bout de 15 minutes, le procédé fait son effet et brouille efficacement (pour qui joue le jeu) la frontière entre fiction et réalité, permettant au film d'asseoir une ambiance hypnotique à souhait, comme très peu de films contemporains ont su le faire. Johansson, elle, fait un travail admirable à composer un personnage quasi transparent par définition, d'où presque rien ne transpire. Minimaliste au possible, son jeu en finesse permet à "Laura" d'être crédible quant à son côté d'un autre monde et son absence de lien tangible, de compréhension ou de possession de points communs avec les êtres humains qu'elle croise.

Le souci, c'est qu'à l'issue d'une rencontre faisant office de point de rupture, où notre extra-terrestre rencontre son équivalent humain en terme de solitude, le film nous envoie alors dans une quête initiatique on ne peut plus balisée.

Ce n'est évidemment pas en laissant certaines questions en suspens (la fin, en particulier, est tout à fait sujette à de multiples interprétations quand au pourquoi des actions de "Laura") que le scénario va donner plus d'épaisseur à cette 2e moitié de film, trop terre-à-terre et trop déjà vue pour ne pas décevoir. Plus encore, on en vient à se demander si le film pouvait, de toute manière, avoir assez de matériel pour tenir la longueur. Les expérimentations de la 1ere moitié ne pouvaient certainement pas remplir 1h45 à elles seules. Que ce soit cette rencontre semi-amoureuse donnant lieu à une ouverture naissante (mais pas trop) comme ce trip animal dans la forêt, le film tombe dans quelque chose de bien moins intéressant que ce qui a précédé.

Reste cependant une étude des genres assez intéressante, où sous couvert de science-fiction, on nous parle avant tout de proies et de prédateurs, d'habitants de Glasgow à l'accent quasi-alien, et d'une humanité somme toute relative ne tenant qu'à bien peu de choses, et souvent rabaissée à nos instincts primaires.

Mis en scène de façon primale, c'est certainement le meilleur de ce que le film a à offrir : une vision minimaliste et captivante de ce rapport à l'autre, au corps, à soi, mais aussi à la solitude et à ses pulsions. A moins que le film ne soit tellement abstrait qu'on puisse y projeter tout ce qu'on veut ?

Dommage, donc, que la 2e moitié du film ne se contente que de l'habituel chemin de la découverte des sentiments, etc etc.
Remy_Pignatiell
8
Écrit par

Créée

le 13 avr. 2014

Modifiée

le 13 avr. 2014

Critique lue 2.1K fois

53 j'aime

3 commentaires

Critique lue 2.1K fois

53
3

D'autres avis sur Under the Skin

Under the Skin
Rawi
8

Poème érotique

Le film s'ouvre sur un oeil, un regard qui se forme, une langue qui se prononce maladroitement. Fond noir ! L'intérêt majeur de cette adaptation est son ACTRICE principale. A la fois très connue,...

Par

le 4 juil. 2014

129 j'aime

33

Under the Skin
Marthe_S
5

Une eau peu profonde

"C'est une eau peu profonde", dit un personnage de Claudel à propos d'un autre personnage, qui manifestement lui semble idiot. J'aurais voulu trouver une formule aussi mordante pour donner mon avis...

le 1 juil. 2014

120 j'aime

19

Under the Skin
Velvetman
10

L'habit ne fait pas l'humain

Under the skin est un film indéfinissable, parfois indéchiffrable. Un point lumineux s’agite autour de formes obscures. La musique se fait assourdissante, se pose alors devant nous, une sorte de...

le 2 févr. 2015

94 j'aime

9

Du même critique

L'Effondrement
Remy_Pignatiell
4

L'enlisement progressif dans la caricature

La série démarre plutôt bien avec un premier épisode dont le concept de plan séquence surprend mais démontre répidement son efficacité mais surtout un premier épisode dôté d'une écriture plutôt...

le 26 nov. 2019

18 j'aime

9

EVERYTHING IS LOVE
Remy_Pignatiell
2

EVERYTHING IS COMTEMPT

Pour un album dont le titre affiche en majuscules (pour bien marteler l'intention) EVERYTHING IS LOVE, on ne peut qu'être surpris par l'évident mépris affiché pendant les longues 38 minutes de cet...

le 21 juin 2018

11 j'aime

2

Le Cerveau
Remy_Pignatiell
7

Critique de Le Cerveau par Remy Pignatiello

Il y a quelque chose qui clochera toujours dans Le cerveau, probablement parce qu'il pointe péniblement à 1h54. C'est bien dommage, car il y a une certaine hystérie souvent hilarante, avec une troupe...

le 20 oct. 2013

8 j'aime