juil 2011:

En voilà un qui ne vole pas ses récompenses, triplé à Berlin! Le film est tellement bien écrit, mis en scène et joué qu'on se demande comment cette pléthore de talents évidents aurait pu échapper au jury.

Avec une force implacable, l'histoire avance et les personnages semblent pris dans une toile inextricable. Cet écheveau kafkaïen que Farhadi met en place petit à petit se sert de la séparation d'un couple comme support. Nader (Peyman Moaadi) et Simin (Leila Hatami) sont sur le point de divorcer. Elle veut quitter le pays, lui, préfère rester pour veiller sur son père victime de la maladie d'Alzheimer. Afin de pallier à l'absence de sa femme, retournée chez sa mère, il embauche une femme de ménage très croyante. Il met sans le savoir le doigt dans un engrenage infernal qui le mène droit devant un juge, puis en prison.

Farhadi utilise donc cette rupture pour peindre en toile de fond l'oppression que vivent les iraniens au quotidien. La théocratie étouffante du régime est partout présente dans les rapports sociaux. Elle écrase les individus qui vivent continuellement dans la peur. La société ultra-répressive que ce soit sur le plan politique ou religieux, intimement mêlés, ne laisse pas la moindre possibilité de respirer. De ce fait, les gens développent entre eux une violence qui explose souvent de manière douloureuse, comme arrachée, dans des moments impulsifs. Les personnages ne se laissent pas aller à la violence ; la situation leur impose d'expulser leur malaise. Le film montre très bien ce côté suffocant, cet immobilisme désespérant grâce à un scénario très bien écrit où les situations s'enchainent les unes aux autres sans laisser le moindre répit aux personnages.

La caméra vacille souvent, à l'épaule mais ne lâche jamais les acteurs. Très peu de scènes d'exposition. Les scènes extérieures sont elles aussi très agressives, que ce soit dans la circulation dense des rues ou dans les allées surpeuplées du tribunal. Rares sont les espaces et les instants où les personnages peuvent prendre le temps de souffler, de se retrouver. Ils n'en ont pas la permission. Les voisins, les créanciers, les policiers, les juges, les conjoints, les enfants, les collègues posent tous un regard réprobateur et inquisiteur. Au sein même de la famille en rupture, ce sentiment de ne pas s'appartenir crée l'espèce d'état d'asphyxie dans lequel tous les personnages se retrouvent piégés, à cause de la société cadenassée, de la religion qui suscite peurs et superstition ou bien à cause des mensonges qu'ils ont fait pour se protéger.

Dommage collatéral le plus touchant, Termeh (Sarina Farhadi), la fille de Nader et Simin, est en quelque sorte celle qui est la plus abimée par ces mensonges. Du moins la voyons-nous quitter le monde de l'enfance tellement brutalement en découvrant le mensonge de son père et de la façon dont sa mère l'utilise pour échapper à cette situation que ce personnage parait incarner le mieux la violence de ces séparations, celle de ses parents mais également celle que le système politique et religieux inflige à la société iranienne, tiraillée par ces restrictions et aliénations insupportables.

Deux histoires parallèles en apparence se mêlent et se nourrissent d'elles mêmes, la privée et la publique suivent la même ligne, celle d'une fracture qui parait impossible à ressouder. C'est admirablement foutu car inattaquable. Les autorités auraient bien du mal à fustiger ce film car il ne les critique pas de manière directe mais dépeint une réalité qui se révèle effrayante. Malin.

Comme le jury de Berlin l'a fait, il faut absolument souligner le jeu formidable de réalisme des comédiens. Tous. Extraordinaires. Je suppose que Farhadi doit beaucoup à ses acteurs. La justesse de leurs jeux, l'intensité qu'ils mettent donnent sans aucun doute le rythme du récit et forcent l'attention du public, subjugué par l'impact, la puissance de conviction. J'en reste baba, épaté. Bravo!

Ce thriller social plus que romantique, assène avec une belle maitrise une image iranienne dévastatrice, coup de poing, car j'ose la croire vraie. Mais au-delà du message politique, le travail est tellement bien fait que cinématographiquement, c'est aussi une très belle œuvre d'écriture scénique. J'aime beaucoup. Ébloui.
Alligator
8
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le 19 avr. 2013

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