Dans la mélasse grand public, le comics s'enfonce en silence

Dans le paysage Hollywoodien, la franchise Marvel est la plus en vogue depuis son rachat par Disney. Marvel, après que Stan Lee soit parvenu à faire vendre ses comics en modernisant l’image du super-héros, fait aujourd’hui vendre ses licences au cinéma. De la poudre aux yeux qui cache un scénario typique des séries américaines lambda pour assommer les masses. Toujours est-il que d’un certain côté, les rêves des fans de comics devient réalité : les personnages de papier prennent vie. Seulement, personne n’était prêt pour la forme qu’allait prendre l’adaptation. Et Venom se dresse comme un cas critique.



UN COUP DE LANGUE ET PUIS S’EN VA



Eddie Brock est un journaliste bourru. A la recherche du scoop de l’année qui le fera sortir de son taudis, il est prêt à tout. Solitaire, il se sent persécuté et injustement blâmé. Sa rencontre avec le symbiote va lui procurer cette sensation de pouvoir changer le monde. C’est ce qu’aurait du raconter un film sur Venom. Et Sony le savait très bien. Les studios ont annoncé un film d’horreur, puis un film « orienté » horreur, puis un film déconseillé aux moins de seize ans, puis un film « possiblement » déconseillé aux moins de douze ans. On le sentait arriver, alors faut-il s’étonner du résultat lorsque sont assignés au scénario les auteurs du remake Jumanji ? Passer d’une comédie à une blague, Jeff Pinker et Scott Rosenberg ne change pas de registre.


Eddie Brock est un homme heureux et comblé avec sa copine avocate Ann Weying . Il gère une chronique engagée, défendant la vérité. Cette obsession de la vérité va le mener à sa perte quand le vilain chef de la compagnie de recherche scientifique lui fait perdre son travail. De mal en pis, Eddie perd sa femme et sa vie de rêve, jusqu’à se faire posséder par un symbiote extra-terrestre. Le ton est bien moins sale, bien moins violent, bien moins Venom . La situation initiale n’a rien d’Eddie Brock. Tout en concevant la notion d’adaptation, faire d’un personnage l’opposée de ce qu’il est, sans rien apporter à son caractère est la pire des erreurs à commettre. Le caractère d’Eddie Brock ne s’arrête cependant pas à la situation initiale. Eddie Brock ne se définit que par deux choses : sa copine Ann, et son statut de journaliste. Il ne dépend que de ces deux facteurs au début du film, et à la fin. L’histoire n’est imposée que par le symbiote et son existence.



« ET PUIS ON S’EN FOUT ! ALLONS SAUVER LA PLANÈTE ! »



C’est bien ce qui manque à ce Venom. Prenons les films Spider-man, tous à partir de la trilogie de Sam Raimi reposent sur un facteur essentiel : le monde et le rapport au citoyen. Venom aurait du reprendre ce facteur essentiel pour appuyer un rapport au personnage dans le monde fictif. L’univers de Spider-man repose sur un rapport au monde vraisemblable, une représentation de notre monde. Le film tente l’opération, avec une maladresse inédite – et c’est bien la seule chose jamais vue dans ce film. De manière répétée, Eddie Brock va entrer dans une sorte d’épicerie. Des échanges bateaux vont tenter de donner l’impression que Eddie Brock noue un lien (très) superficiel avec la vendeuse. Là encore, un rapport à Spider-man. Peter laisse le meurtrier de son oncle s’enfuir. Eddie laisse le braqueur s’en aller avec l’argent. Ce n’est qu’après sa rencontre avec le symbiote qu’il le décapitera. Eddie aurait du se démarquer de l’image du héros faible, et intervenir dès le début, pour gagner ou échouer. Tout pousse à présenter Venom comme un héros : la musique, le caractère banal de Eddie Brock, et la personnalité du symbiote qui change du tout au tout sans trop d’explications – alors qu’il s’agit du trait le plus intéressant du film. Or, Venom ne peut être au mieux qu’un anti-héros. La philosophie de Venom consiste en une justice sociale subjective, teintée d’une obsession face à l’univers de Spider-man.


Seulement, l’humour est omniprésent. Il se manifeste de chaque personnage, jusqu’au symbiote lui-même. On ressent là tout le manque d’inspiration, le manque d’originalité, et l’unique ambition de copier la recette du succès commercial. Le personnage principal dépasse les limites du ridicule en mangeant à mains nues les assiettes d’autres clients au milieu d’un restaurant – pour ensuite plonger dans l’aquarium et manger les homards. Chaque élément secondaire est bon à être mangé – une « blague » récurrente pour mieux faire passer le fait de nourrir le symbiote – ou à être moqué. Pour un film à l’esthétique (légèrement) sombre, sur un personnage violent et sale, le scénario dénote lourdement.



HOLLYWOOD NOUS ÉTOUFFERA TOUS



Le film est compressé dans les règles du cinéma américain destiné au grand public. Il ne faut donc rien espérer de Ruben Fleischer. Le réalisateur arrivait jusqu’alors à soigner ses projets, sans pour autant briller d’originalité. Du découpage aux prises de vue, le film peine à rester regardable, la faute à une direction des acteurs. A peine sorti de sa série Taboo, puis du film Dunkirk, Tom Hardy sombre dans une exagération folle, et ne fait qu’ajouter au ridicule du personnage. L’acteur n’est pas le seul dans ce cas : Riz Ahmed dénote avec tous les espoirs qu’il avait pu inspirer avec la série Night of Us. Recette à succès oblige, le film se termine sur une scène post-générique plus gênante que dérangeante, alors que celle-ci joue avec un fantasme entretenu par les fans depuis 2007.


Brisé de toute part, le film ne parvient pas à affirmer, ni tenir un ton sérieux. Il introduit son personnage principal par une bande-son « hip-pop », et une bande originale qui lui fait perdre toute crédibilité dès l’entrée. Et rien ne parvient à le relever de cette première chute. On aurait pu se rattraper sur un design de Venom meilleur que ce qui a pu être fait jusqu’à aujourd’hui. On aurait pu retenir des effets spéciaux révélant un rendu proche des qualités graphiques du dessinateur Clayton Crain. Mais ce ne sont que des qualités mineures au milieu d’une avalanche d’éléments affligeants de bêtise et d’un profond irrespect.


Venom n’est définitivement pas Venom. Le film était parti avec peu d’espoirs venant des fans. Rapidement lapidé, il inspirait la pitié. Un léger espoir agonisait. Et malgré ça, le film parvient à décevoir. Agglutinement de clichés, il suit un chemin tout tracé, rompant avec toute logique possible. Sa voie est tout aussi tracée vers la bibliothèque des nanars aux ambitions bien trop grandes pour un rendu bien médiocre.

Watchful
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le 18 févr. 2019

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