Les premières minutes de visionnage de ce "film-reportage-tableau" sont à la limite du supportable tant elles sont sinon ridicules du moins extrêmement improbables. Il semblerait que l'on s'apprête à regarder un délire artistique bobo et absurde, avec des dialogues en fond qui sont d'une stupidité et d'une mièvrerie la plus crasse, le tout avec une bande son et des plans proche d'un trip sous LSD. La réalité est que la première impression est souvent la bonne, et globalement, ce film qui retrace un projet artistique entre Agnès Varda et JR sur les routes de la France profonde est en effet ce film abominable qui hante encore mes cauchemars. Pourtant, le film, par son hétérodoxie, n'est pas aussi mauvais qu'il en a l'air. D'abord, le film épouse un parti-pris très clair : il s'agit par une technique de collage réellement sublime d'incruster dans les villages et la terre de France des visages de ceux qui les habitent, dans un moment éphémère de convivialité et de compréhension. Le projet est réellement beau, et la technique artistique de JR est vraiment éblouissante. Cependant, malgré des moments d'une profonde sentimentalité, et disons par des plans vraiment touchants, le film ne parvient pas à emporter réellement le spectateur dans ce grand projet artistique mêlant photographie et collage.
Plus encore, l'idée d'un enracinement de visages dans la pierre ancestrale des villages, des usines, des ports ou des champs serait crédible s'il n'était pas mené par le symbole même de l'éphémère, de la superficialité, du bobo et de la guimauve. En fait, très concrètement, le principal problème du film est les deux protagonistes qui en déroulent le fil. Si l'attachement de JR très respectable aux personnes âgées, et la nostalgie d'Agnès Varda sont particulièrement intéressants et émouvants, leurs discours, leurs interventions et même parfois leur projet ne sont pas spécialement d'une véritable pertinence. Parfois, l'agacement se mêle à l'exaspération. Et après ces deux sentiments d'irritation, l'ennui s'installe. Les moments les plus formidables sont offerts par les Français eux-mêmes qui s'expriment et montrent leur beauté. Trois portraits m'ont beaucoup touché à titre personnel : notamment celle de la femme des corons prise de larmes, l'ouvrier qui part en retraite dont le visage passe d'une joie feinte à une grande détresse de manière imperceptible et aussi cet artiste septuagénaire n'ayant jamais travaillé au visage craquelé mais souriant. A part cela, rien ne me reste réellement à part peut-être cette scène de JR avec sa grand-mère. Décidément, le superficiel de la ville ne parvient pas à atteindre le roc pur et vivifiant de la profondeur des provinces.