Une ballade musicale construit un simulacre de tranquillité et une chaîne de patients vient chercher ses médicaments, un gobelet d'eau, un gobelet de pilules, c’est le "medication time". Et c’est sur ce schéma que se construit l’œuvre de Forman : d’un côté le box des infirmières et de l’autre, séparé par un comptoir et une vitre, comme mis en cage, ceux dont on veut nous faire croire qu’ils habitent l’antre de la simplicité d’esprit, de la divergence et du trouble mental.

L’encadrement excessif (si ce n’est de l’oppression) qui entoure ces hommes les pousse à penser qu’ils sont différents, spéciaux, et les contraint de ce fait à feinter une normalité forcée et artificielle pour nier la différence qu’on les oblige à endosser. Le climat est tendu, inapte à soigner un éventuel trouble, le gris, le blanc et le beige teignent les murs de l’enceinte grillagée et font ressortir pâleurs et larmes.

Puis débarque Nicholson qui dans sa fabuleuse puérilité vient accorder un peu de folie joyeuse pour le plus grand malheur de la tyrannique sévère et détestable infirmière Ratched qui entretenait jusque-là son petit régime autoritaire construit sur la fragilité des oppressés. Les réunions continuent de ponctuer un quotidien programmé et la caméra de Forman capte lors de gros plans magnifiques les faces déphasées d’humains dont on peine finalement à déceler la folie ou la bien portance, des visages marginaux comme perturbés par l’intransigeance du faciès froid et figé du corps soignant.

On en vient finalement à se demander si ces patients sont réellement fous ou tout simplement victimes d’une folie que l’on voudrait leur attribuer pour leurs différences. Car même s’ils ne sont pas dérangés, ils sont différents et leur placement en hôpital les oblige à porter cette différence au grand jour. Ainsi se pose la question de la position face à la différence. En la détestant en permanence, j’ai ponctuellement eu des doutes sur les intentions de l’infirmière et c’est là la force du métrage. Que ce soit dans l’encadrement excessif de l’emploi du temps ou dans la petite anarchie alcoolisée, on ne peut regarder normalement la folie d’acteurs qui sont pour beaucoup dans la réussite de Vol au-dessus d’un nid de coucou.
Deleuze
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le 15 déc. 2013

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