Fièrement vêtue de son lopapeysa ("lopa" = laine, "peysa" = pull, du français "paysan", hérité des pêcheurs français en escale sur l’île, hélant les locaux pour acheter les fameux pulls), son arc dressé vers les cieux, Halla fait passer un câble métallique sur la ligne haute tension, créant un court-circuit qui prive d’électricité toute l’industrie de l’aluminium de la région. Son méfait accompli, notre Robin des Bois des temps modernes rebrousse chemin sans demander son reste, piétinant allègrement la mousse fragile et centenaire qui couvre les plaines volcaniques d’une bonne partie de l’Islande…


Parce que, dans une manière typiquement islandaise, Halla a une conception de l’écologie assez souple.


Accompagnée d’une musique toute martiale, Halla échappe à la police islandaise qui a déployé force moyens pour retrouver l’auteur du sabotage, jusqu’à un hélicoptère d’un noir de mauvais aloi. Avec l’aide d’un cousin (présumé), elle réussit finalement à s’échapper au volant d’une voiture dont le style suranné et le bleu-vert rappellent immanquablement la Thunderbird de Thelma et Louise.


Film islandais de 2018, montré à Cannes, « Woman at War » met en scène l’odyssée guerrière et picaresque d’une femme seule, dans sa cinquantaine, contre l’industrie de l’aluminium qui défigure les highlands d’Islande. Si les choses n’étaient pas assez compliquées, son dossier de candidature à l’adoption est finalement exhumé par les services sociaux et elle se retrouve dans la position d’adopter une petite ukrainienne que la guerre civile a rendu orpheline.


Le film est pétri de bonnes idées, traitant d’enjeux assez actuels même si classiques – l’écologie en est le principal sujet, mais sert de façade à un message plus de fond sur la technologie et l’état policier. Le ton est résolument ironique, donnant par exemple des moyens colossaux et menaçants à la police islandaise. Une blague, quand on sait qu’elle a du être confrontée à trois crimes dans ses quinze dernières années, fait appel aux danois pour toutes les analyses médico-légales qu’elle doit (rarement) mener, et utilise sûrement moins souvent d’hélicoptères que les équipes de volontaires de "Search & Rescue" qui secourent ces cons de touristes qui se perdent dans la nature.


Héritière de Gandhi et Mandela – même si elle a oublié le côté pacifiste, pratique – notre héroïne, Halla, fait la guerre à la modernité : l’industrialisation de l’île est son ennemie. Elle préfère sa bicyclette aux véhicules à moteur, la machine à écrire à l’ordinateur et la scie à métaux manuelle à ses équivalents à pile. Justicière masquée sous le nom de la "femme montagne", elle est, à la ville, monitrice de chant dans un chœur. Elle s’apprête à devenir mère – célibataire – d’une petite orpheline. Elle n’estime avoir besoin de personne (la décision finale prise sous la statue de Jon Sirguðsson, père fondateur du mouvement de l’Indépendance islandaise dans les années 1870, n’est pas anodine). Ses efforts sont méritoires mais n'auront finalement pas grand retentissement. Piquée au vif par les critiques de ses concitoyens qui ne sont pas tendres avec son combat militant, elle se lance dans des actes de plus en plus audacieux, surveillée par ses trois Parques ukrainiennes qui semblent chanter son échec inéluctable.


Pour quelqu’un vivant en Islande, il est amusant de constater à quel point ce film est, presque jusqu’à la caricature, islandais jusqu’au bout des ongles. On a l’absence de classe sociale (le ministre qui chante avec les autres membres du chœur), l’obsession des islandais pour le chant, et, évidemment et surtout, les discussions à la piscine municipale, LE lieu social par excellence. Tous les lieux filmés, que ce soit à Reykjavik ou à la campagne, sont aussi identifiables au premier coup d’œil. J’ai grimpé des blocs à deux pas du pylône qu’Halla finit par déraciner…


Les acteurs sont bons, et si le message n’est pas forcément hyper subtil, il sert surtout de fond à un film plein d’un humour assez sarcastique et caractéristique de l’âme islandaise. Il se permet au passage d’égratigner certaines des incohérences flagrantes du pays, dont l’énergie, issue de la géothermie, est 100% propre, mais où les transports publics sont calamiteux et la voiture électrique, totalement absente. Un pays qui se gargarise de sa nature fragile et belle qu’il souhaite mettre en valeur et protéger… enfin, celle sur terre, parce que massacrer des baleines n’a jamais posé de cas de conscience aux Islandais (qui ont refusé d’intégrer l’Union Européenne pour ne pas avoir à respecter ses quotas de pêche). Un pays enfin, qui est élevé en exemple pour ses avancées en termes d’égalité et de féminisme, mais où les taux de suicide et d’abandon à l’université des jeunes hommes sont anormalement élevés.


Le film s’achève sur un message d’espoir, Halla portant à bout de bras la jeune Nika pour la protéger de l’eau, lavant ses péchés dans un Gange métaphorique tandis qu’elle sauvegarde, sinon le futur du monde entier, au moins celui d’une petite fille perdue.

Aramis
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le 29 juil. 2018

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Aramis

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