Yesterday, Danny Boyle, Royaume-Uni, 2019, 1h56

Le coup du « j’ai un accident, je tombe dans le coma, je me réveil et plus rien n’est pareil… » compose un schéma narratif assez commun dans la production. On peut tous citer au moins un film utilisant ce ressort. En 2019, il apparaît donc des plus éculés, mais c’est pourtant sur ce postulat que se base tout le récit de « Yesterday ».


Reconnu pour son éminent éclectisme, Danny Boyle demeure avant tout un auteur, dans le visuel, l’ambiance, et par cette capacité à rendre tout ce qu’il touche, du plus modeste « Millions » au plus ambitieux « Sunshine », des plus passionnants. En bon cinéaste cinéphile, il sait invoquer les meilleures idées de mise en scène aux moments les plus opportuns. Et il s’avère question de ça dans « Yesterday », une romance sur fond de fantastique. Du déjà-vu.


Au scénario, la présence de Richard Curtis étonne peu. L’homme derrière « Love Actually », la plus grande comédie romantique de tous les temps, également à l’origine de « The Boat That Rocked », une satire douce-amère de l’Angleterre puritaine face au milieu underground du rock british, dans les sixties. Il est également le co-créateur de l’énorme série « Blackadder », et du cultissime « Mr Bean », avec son acolyte Rowan Atkinson.


Il y a donc du beau monde derrière la caméra, et l’idée de lancer un personnage dans une réalité où lui seul connaît les Beatles, devient tout de suite passionnante. D’autant plus, Danny Boyle sait toujours faire preuve d’un choix de qualité pour soigner ses bandes-son. Et ça lui est très utile dans cette œuvre où la musique compose le sujet principal, qui ne tourne qu’autour de ça. C’est ce qui permet la mise en place des diverses situations, venant nourrir la progression d’un récit vraiment bien rythmé.


Derrière la caméra, il y a des gens qui s’éclatent, et ça se ressent à l’écran : de l’alchimie entre les acteurs, aux moments musicaux grandioses, ou bien encore une séquence émouvante presque onirique, comme un fantasmer venant réaliser la chimère de beaucoup. Il n’y a aucun doute, nous nous trouvons face à une œuvre généreuse, qui fait primer le plaisir de son audience, par la plus sincère des démarches.


Le film ne tombe jamais dans l’écueil de l’accumulation de tubes des Beatles, au contraire même, il y a relativement peu de hits du groupe. Le métrage se concentre plus sur des morceaux oubliés, ou peu connus, côtoyant bien entendu quelques chansons majeures. Comme une manière d’apporter les Beatles à un public qui ne les connaît pas.


De plus, la bande-son est totalement justifiée par une astuce scénaristique plutôt amusante, qui symbolise les différentes périodes du groupe, et en vrai film musical, il est livré avec son lot de bonnes vibrations. Car « Yesterday » c’est avant toute chose un objet pop, tout autant que la musique des Beatles. L’une des thématiques phares se trouve d’ailleurs dans cette idée de la transmission.


« Les Beatles n’existent pas ? Alors je vais amener au monde les Beatles. ». Par le prisme du postmodernisme, le film vient nous certifier que les objets que l’on regarde n’existeraient pas sans la pop culture. Sans les Beatles, jamais « Yesterday » n’aurait pu arriver sur nos écrans. Et c’est là que repose tout le propos, puisque le personnage se retrouve justement dans cette situation. Son réflexe consiste alors à réenregistrer tous les albums du groupe. Je vous laisse découvrir la tournure des évènements à partir de là.


Drôle, fun et touchant, le métrage de Danny Boyle résume la dénomination même du « Feel Good Movie », avec sa bande-son hyper pop et son message humaniste plein d’espoir. Il vient offrir le bénédicité de la réappropriation d’une propriété intellectuelle (le groupe derrière ses titres), et de son appartenance à tout à chacun. Nous sommes aujourd’hui dépositaires d’un patrimoine mondial exceptionnel, inédit dans notre Histoire contemporaine. D’une richesse et d’une variété incroyable, il nous appartient.


Que les grandes firmes aient produit tel ou tel groupe, ou tel film, c’est du pareil au même, même si elles essayent de faire culpabiliser les « pirates » au nom du tout puissant $. La musique demeure un bien collectif, et celle des Beatles fait partie de notre ADN, dans ce qui nous a formés, instruits, guidés et surtout, influencés.


Cette influence des Beatles s’avère telle sur la musique, que nombre de groupes et de chansons n’existeraient pas sans. Oasis ne sonnerait pas pareil. On n’aurait peut-être jamais eu Lemmy. Et ça peut engendrer ainsi des dérèglements incalculables pesant sur l’état général de la culture, tel qu’elle existerait sans les Beatles. Il devient alors de notre responsabilité de maintenir vivant ce patrimoine qui nous rapproche, celui composé par la pop culture, qui laisse une émancipation possible.


Mais l’art sous toutes ses formes, ainsi que la connaissance universelle, demeure nos meilleures armes dans un monde rongé par le cynisme, le profit et l’avidité. Cela fait qu’une production comme « Yesterday » devient tout aussi importante en 2019, que le furent les albums des Beatles cinquante ans plus tôt. Et le film de Danny Boyle, du haut de sa grande sincérité, compose une œuvre pleine de légèreté, désuète et divertissante, avec une petite histoire d’amour touchante. Mais au fond, dans sa structure même et par son propos omniprésent, il y a une démarche éminemment politique, un poing révolutionnaire à l’encontre d’une industrie qui bride l’accès à la culture. Et au métrage de véhiculer un message de liberté à notre portée.


Il faut pour cela se remémorer que Danny Boyle a refusé d’être anobli par la Reine d’Angleterre (contrairement à McCartney et Ringo). Ce type a dit non à la plus importante institution du Royaume-Unis. Son argument était alors « Je suis très fier d’être un citoyen comme les autres. ». Ce type refuse le conventionnel, et témoigne de sa propre vision des choses à travers ses films. Ces dernier mettent très souvent en scène des personnes du commun, souvent issus du monde ouvrier. Et ces films il les réalise pour nous, les pauvres, et ça fait du bien de voir des artistes oser des audaces aussi jouissives que dans le cas de « Yesterday ».


Avec cette production populaire, vive, salutaire, bénéfique et réconfortante, Danny Boyle prouve une fois de plus qu’il est l’un des cinéastes majeurs de notre temps. Il démontre à nouveau qu’il a compris un truc au cinéma et au monde qui l’entoure. Mettant ainsi toutes ses observations, ses réflexions et ses conclusions à notre disposition, au cœur d’œuvres d’une grande diversité, où demeure une constante : l’être humain. Tout simplement.


-Stork._

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le 10 févr. 2020

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