Your Name.
7.6
Your Name.

Long-métrage d'animation de Makoto Shinkai (2016)

À toi l'inconnu(e) que je vais rencontrer.

L'OST de Your Name par le groupe Radwimps²(je commence volontairement à 45.14, les premiers titres sont excellents donc n'hésitez pas à les écouter).


S'il est une thématique qui persiste et signe dans le cinéma de Shinkai, c'est bien cette incomplétude tragique de l'être humain. Que ce soit le couple Tohno Takaki et Akari Shinohara, séparés dans 5cm par secondes, les amis éparpillés de la Tour au delà des nuages ou bien la solitude d'une jeune fille sans son père au Royaume d'Agartha, Shinkai développe tout au long de ses métrages cette thématique de la séparation et ce déchirement qui prend aux tripes. On pourra lui reprocher un lyrisme exacerbé jusqu'au pathos, peut-être pour les moins sensibles à son univers, ce ne sera bien évidemment pas le cas de votre serviteur, auto-qualifié de midinette de la japanimation. Avec Shinkai, qu'on se le dise, on parlera de séparation, de solitude voir de mort ... Welcome


Pour qui aurait cliqué sur le lien proposé ci-dessus les quelques notes de piano - monnaie courante dans un bon nombre d’œuvre nipponne - caractérisent fort bien une réalisation qui ne se démarquera pas par sa folie mais sera relativement sage et maitrisée de bout en bout.
Si la temporalité du récit jouera un moment avec le spectateur pour mieux lui infliger un retournement de situation un brin artificiel mais créateur d'enjeu(x) on se retrouvera dans l'ensemble loin du "jusqu'auboutisme" d'un MindGame ou de la folie d'un Dead Leaves. Le spectateur connaissant Shinkai et ses qualités/marottes ne sera du reste pas surpris.


Your Name est avant tout une œuvre d'une beauté fracassante, léchée jusqu'au moindre détail, spectaculaire dans sa vision romantique d'un Tokyo tentaculaire éclairé par un soleil couchant, magnifiques dans ses plans de montagnes nipponnes, enchanteur lorsque le nez en l'air on admire une danse traditionnelle, que l'on photographie la bouffe dans nos assiettes ou que l'on assiste à un festival. Shinkai travaille ici main dans la main (pour la première fois ce me semble) avec Masashi Ando, directeur de l'animation connu pour son travail au sein du studio Ghibli. Fluidité de l'animation, beauté des plans dont l'accord avec la bande-son frise une perfection entendue dans mes plus beaux coups de cœur d'animation, on s’émerveillera du quotidien de nos deux protagonistes adolescents qui se retrouvent plongés dans le quotidien l'un de l'autre. J'ai un souvenir particulièrement fort du moment où Taki dans le corps de Mitsuha se rend au sanctuaire d'une déité locale perchée dans les montagnes. C'est bluffant. Rien d'étonnant à cet accomplissement graphique toutefois lorsqu'on se penche sur l'équipe du film et que l'on constate une certaine continuité dans la liste des collaborateurs de Shinkai ( Yoshitaka Takeuch aux effets visuels, Takumi Tanji à la direction artistique etc...).


Baignant dans le fantastique l'histoire du jeune Taki étudiant à Tokyo et de la sympathique Mitsuha étouffant dans sa petite ville de province coincée entre lac, montagnes et traditions, commence par un brusque changement de corps dans leurs rêves à l'approche d'une comète venant frôler la terre. Premièrement décontenancés nos deux comparses vont s'apprendre et se connaître sans se rencontrer, vivant dans le corps de l'autre. Taki dessinateur, un brin réservé et un brin bagarreur bouleversera le quotidien de Mitsuha et apprendra à s'intégrer au sein d'une communauté et à apprécier les temps lents de la vie tandis que Mitsuha s'épanouira à Tokyo, dépensant "sans compter" et ... d'autres choses que je ne dévoilerai pas.
Toujours est-il que cette première partie du film est touchante, réussite principale du film à mon sens. C'est une poésie du quotidien où l'on découvre l'autre à travers ses relations au monde, où l'on découvre le corps de l'autre en l'habitant. Rapidement les deux protagonistes comprennent qu'ils échangent véritablement leur corps et que ce n'est pas juste un rêve, tentent de communiquer, se soumettent des règles pour mieux les transgresser.


La seconde partie sera un poil plus dramatique, verra se mêler au changement de corps un décalage temporel, impliquant ... que je [spoil], donc attention les mirettes.


Impliquant un scénario à la Failan, donc. Notre narrateur réalisera, lorsque les échanges cesseront que la jeune fille dont il empruntait le corps est morte après la chute d'une météorite trois ans auparavant. Désespéré il fera tout pour la retrouver et tenter de prévenir ladite catastrophe. Si les divagations temporelles peuvent un brin embrouiller le spectateur elles apportent une dimension tragique bienvenue, convoquant certes le fantastique avec force mais donnant à notre histoire un tournant désespéré et touchant. Il en viendra ainsi à conjurer la catastrophe et à éviter la mort de tous les villageois.


Enquête frénétique de notre héros accompagné de deux personnages un poil anecdotiques - même si j'aime bien Miki, la collègue un peu plus âgée - qui auraient gagné à être plus développés, celui-ci finira par se souvenir de celle qu'il cherche et qu'il aime, guidé par le fil tressé par celle-ci. Il faudrait peut-être voir ici un parallèle avec le fil rouge du destin, celui qui se lie autour du petit doigt. À vérifier. La seconde partie, quoique bien rythmée et permettant à Shinkai de développer une palette de paysages et d'effets bluffants reste en deçà de notre première partie, perdant au profit du spectaculaire cette poésie du quotidien presque mélancolique par moment, celle dont je parlais plus haut. Je dois noter aussi quelques passages de musique qui nous sortent un peu du film, c'est à mon sens une des rares fautes de ce métrage. La fin me séduit particulièrement par contre, parce que j'aime chez Shinkai cette mélancolie trouble, ce spleen lié à un manque, cette sensation d'incomplétude qui résulte de l'absence d'un être pourtant oublié, de ce qu'on ne connait pas. Cette espèce de marque indélébile qui reste au cœur de ses personnages et qui les torturent, même si le dénouement heureux ici ne manquera pas de séduire les spectateurs. S'il n'y avait pas eu de happy end, je dois t'avouer que j'aurais été frustré.
On notera aussi en sous-texte de cette histoire la volonté de Shinkai de proposer à l'issue d'une terrible catastrophe la possibilité pour son protagoniste de remonter le temps et de sauver les vies des innocents. Doit-on y voir - comme j'ai pu le lire sur ce site, je ne sais plus où par contre - un parallèle avec les catastrophes nucléaires, bombardements et centrales explosant en fauchant injustement et sans aucune distinction des villes entières ? J'ai tendance à penser aussi à une dimension cathartique dans ce métrage ... comme une volonté de guérir par la fiction. Le film est clairement inspiré par la catastrophe de Fukushima, cela est bien dit par le réalisateur.


Fin du [spoil]


Pourquoi bouder son plaisir devant Your Name ? Le film n'atteint clairement pas la perfection d'un Miyazaki, le symbolisme y est moins présent, le message semble moins fort mais la thématique ravira les cœurs tendres de mon genre. Arrêtons donc de comparer l'incomparable et laissons nous bercer le message simple de Makoto et son style sans faille.


Le lyrisme de Shinkai s'exprime avec force, empreint d'une mélancolie inhérente à l'ensemble de son œuvre. Nos protagonistes sont attachants, s'attachent et se retrouvent séparés au moment où ils s'accrochent. Tout nous porte, de l'évocation de Fukushima jusqu'à cette romance improbable, ces larmes au réveil, cet oubli impossible de l'autre ...


<3


² : ça veut dire Super-mauviette selon Wikipedia... marrant, nan ?

Petitbarbu
9
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le 26 sept. 2017

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Petitbarbu

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