Le vaudouisme. Voilà un terrain de jeu relativement snobé par les cinéastes avides d’absorption horrifique et de séries B mystiques. Certes, il y a déjà eu Wes Craven, qui en 1988 emmenait Bill Pullman dans un psychédélique tourbillon de magie noire sur l’ile d’Haïti : « The Serpend and the Rainbow ». Plus loin encore, en 1943, c’est Jacques Tourneur qui y posait sa caméra dans le cadre de « I Walked with a Zombie ». En somme, des cinéastes plaçant leurs productions sous le joug d’un certain sens du divertissement. On s’y étonne donc d’y retrouver Bertrand Bonello, ici réalisateur, scénariste et compositeur de « Zombi Child », intégrant ainsi totalement le film à sa signature. En situant l’action au sein du prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur, Bonello examine la décrépitude des sentiments, entre ridicule, cadrage au cordeau, de l’Amsterdam dans la bouche et des bouffées d’oxygène dans la kush, ya ya ya ya ya.


Vos fantasmes sont-ils vos propres zombies ? En soit, « Zombi Child » n’est guère un film désagréable. Si nous le qualifierions volontiers de « bâtard », il n’en est pas moins qu’un objet filmique frénétique suivant une chronologie onduleuse, composée de deux intrigues conductrices : celle à Haïti, dans les années 1960, où un homme est ramené d’entre les morts afin d’être envoyé dans l’enfer des plantations de canne à sucre. Puis une autre, située à notre époque, où un pensionnat pour fille reçoit une nouvelle élève, Mélissa, qui n’est autre que la descendante de ce mort-vivant, et que Fanny va voir comme nouvelle amie.


On s’y perd facilement, dans cet aléa de flashbacks formant un diptyque sibyllin, mettant en exergue une France compétitrice, dans le cadre de laquelle la zombification est moins un prétexte à l’épouvante qu’un viscéral reflet du colonialisme. Après avoir sondé le teenage-movie au premier plan d’un thriller politique dans « Nocturama », Bonello s’intéresse ici, encore une fois, à la notion de groupe, mais aussi à l’errance. Si « Zombi Child » n’a de cesse de multiplier les gros plans méticuleux, c’est parce que son récit semble se tisser quasi uniquement par la voie des visages, y mêlant un drame discret revenant sur le prisme de l’origine, revenant par ailleurs sur l'épicentre même du mythe du zombie. Un travail sur le corps allant de paire avec la notion de possession, véritable coeur du film. Ici, la possession est partout : elle se traduit par la voie sentimentale — notamment par le biais du fantasme —, le colonialisme, les valeurs de l’élite, et bien sûr, le vaudouisme. Quel lien alors entre, l’amour, la solitude, la vie et la mort ? L’incantation n’est autre que la réaction, la combustion de tous ces procédés chimiques, et à ce titre, Bonello sort avec brio de cet exercice de style, via une mise en scène fulgurante, intimiste, parfois même outrancière.


On craignait, un énième film de série B prenant la pose pour mieux tomber dans le piège de l’épouvante-chic-choc. Et pourtant. Bonello démontre encore une fois son art infaillible de filmer un groupe, tout en délivrant un portrait d’une jeunesse isolée dans ses propres retranchements, dressant ainsi un collage mettant l’accent sur la perte autant que sur les nombreux objets fantasmatiques, ici abattus un par un, comme des jouets, et cela jusque dans les confins du grotesque ! Des cœurs, des corps, des quêtes… Et aussi une bande originale marquante. Bref, avec de tels ingrédients, c'est quand même frustrant que ce film n’ait pas été réalisé par Dario Argento dans les années 1980.

Kiwi-
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le 13 juin 2019

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