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Tant qu’il y a du chat, il y a de l’espoir…

« Chacun de nous est tout seul, brisé, et la seule façon dont nous tenons ensemble est la communauté – c’est la plus grande leçon que j’ai apprise de cette guerre. On survit en restant auprès de sa communauté, sa famille et ses amis, et dans sa ville. C’est ainsi que l’humanité survivra si une troisième guerre mondiale, Dieu nous en préserve, devait commencer. »

Mstyslav Chernov, pendant la tournée promotionnelle de son film, il y a quelques jours (décembre 2025).


Il était une fois un lieu nommé Andriivka.

Et cette autrefois, il y avait une forêt, une étroite bande boisée, coincée entre deux champs de mines. Le seul accès à ce village des environs de Bakhmout, à l’est de l’Ukraine.

Ce n’était pas une autre planète, c’était le milieu de l’Europe.

On continue de parler de forêt pour ce qui ne ressemble plus qu’à du bois mitraillé.

On dit que cette forêt a tué beaucoup d’hommes…


Le 15 septembre 2023, le porte-parole de la 3e brigade d'assaut annonce la libération du village. Mais le chrono du film démarre le 16 septembre et égraine les heures, nous égarant dans une temporalité digne du ‘Dunkerque’ de Nolan.

20 jours à Marioupol, à 2000m d’Andriivka.

Ici, la distance se mesure à la longueur des pauses entre les explosions.


Avec chacun trois caméras sur les épaules, Mstyslav Chernov et son chef opérateur Alex Babenko ont suivi la brigade sur le dernier bout de forêt, jusqu’à la bataille finale. « On a passé trois semaines à la filmer, dont une journée à Andriivka », se rappelle Babenko.

Ils récoltent 150 heures de rushes : en majorité ceux enregistrés en première ligne durant les trois mois précédents par plusieurs types de caméras militaires, dont les GoPro (caméras d’action embarquées) des soldats ou celles des drones de l’armée, et les leurs.


« On libère des noms de lieux. Et on hisse le drapeau ukrainien pour que tout le pays sache que ces noms de lieux ont été libérés. » dit la voix off de Chernov.

En Lorraine, les villages détruits pendant la première guerre mondiale sont loin d’avoir tous été reconstruits, leur nom s’est souvent retrouvé accolé à celui du village voisin.

Parce que les forêts repoussent, certains veulent croire que les villages et les villes aussi repousseront.

Le journaliste n’a pas pris les armes, mais a fait le choix de filmer, sa façon de servir, différente des volontaires qui se battent, à moins qu’il ne se batte et que d’autres servent…

Grâce aux images et aux sons, on est immergé dans cette guerre 'pour de vrai' ; on entend de quoi on parle dans les abris en attendant la prochaine avancée : « Après la guerre… j’arrête de fumer. Je repars à zéro. Tout changera. On va reconstruire… »


On entend les hurlements de douleur des blessés, on voit la vie quitter le corps de Gagarine, qui sera le 56e combattant enterré dans son village.

L’équipe est allée montrer le documentaire à sa mère. Une éthique et une empathie, un immense respect, c’est leur marque de fabrique. Ainsi que la pudeur, la retenue, nécessaires mais insuffisantes pour ne pas être hantés à jamais.

Cinq mois plus tard, ce sera pire (où ? quelle offensive ? quel nom de lieu ?) et beaucoup des survivants de l’été 2023 périront.


« Nous sommes le 16 septembre et la 3e brigade d’assaut a libéré le village d’Andriivka »

Mais le village n’existe plus. Tout ce qu’il en reste est le nom.

Un rat

Une mouche

Un chat !

Une petite chatte, aussitôt cajolée et baptisée Andriivka : « Tu es une cosaque »

Elle était l’invitée spéciale d’une des projections du film à Lviv, fin août. « Un ami l’a adoptée, elle vit désormais dans les Carpates », raconte Alex Babenko.

(Voir la photo du bandeau sur ma page de profil)


La vraie question que pose Chernov est celle de l’indifférence qui s’installe avec la durée du conflit, et du désintérêt. Il craint un front gelé, les limbes d’une guerre s’établissant pour des années. Comment intéresser les gens ?

L’Occident exprime sa déception vis à vis de la contre-offensive et se demande comment continuer de (les) aider alors que la guerre s’enlise.

L’Ukraine n’a pas assez de ressources pour poursuivre sa contre-offensive.

« Et les russes continueront de réduire les villes à l’état de ruines »


Ce 28 novembre 2025, André Markowicz, traducteur et écrivain, exprime, dans une tribune au journal « Le Monde », le sentiment de honte qu’il ressent après la capitulation des démocraties européennes face aux projets du président russe, mais aussi des Etats-Unis de Donald Trump. « Vladimir Poutine nous demande de sacrifier la seule force qui résiste au fascisme, l’Ukraine elle-même »

Dans les commentaires, les références à la seconde guerre mondiale sont là, et nombre de grossièretés pro-russes utilisent sans retenue le terme ‘nazi’ pour qualifier les Ukrainiens, non-censurées par la modération. Quand je tenterai de comparer l’attitude de la communauté européenne actuelle avec celle qui fut la sienne, plus récemment, lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, jamais mes mots ne seront publiés.

« Je ne peux pas changer le passé, (…) mais nous pouvons faire en sorte de rétablir l’histoire, et que la vérité l’emporte. »

« Il n’a jamais été aussi facile de fabriquer des mensonges qu’aujourd’hui, dit Chernov. Or, toute guerre démarre sur un mensonge : pour l’Ukraine, celui selon lequel c’est un pays nazi, qui était sur le point d’envahir la Russie… Voilà donc pourquoi il n’a jamais été aussi facile d’envahir un pays. Et pourquoi il faut soutenir le journalisme, pour maintenir la vérité hors de cet océan de mensonges. »


On n’a fait que rabâcher « Plus jamais ça » pendant que ça ne cessait de continuer

Personne ne devra oser dire « On ne savait pas »

« Cette guerre est un cauchemar dont personne ne peut se réveiller »

« Le destin, c’est l’excuse des gens qui font les mauvais choix »

Les héros du peuple sont immortels

Car les morts répondent ‘présent’ à l’appel par les voix de leurs frères

Morts pour planter un drapeau sur les ruines d’un nom qui sera vite repris par l’ennemi

Morts pour évacuer un sac qui fait « miaou »

« Et si cette guerre dure toute notre vie ? »

Eh bien on dit aussi que les chats ont neuf vies…


• Les citations en italiques mêlent des phrases des protagonistes, des extraits d’actualités télévisées occidentales entendues dans le film, des propos du réalisateur en voix off ou dans la presse.


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