Qui est le film ?
Troisième long métrage de Kogonada après Columbus et After Yang, A Big Bold Beautiful Journey marque un déplacement vers un récit plus ouvert, teinté de fantastique et de rom com. En surface, c’est un road movie magique : deux inconnus (Colin Farrell et Margot Robbie) embarquent dans une voiture guidée par un GPS rétro capable d’ouvrir des portes vers leurs souvenirs, se rencontrent dans un mariage, se perdent et se retrouvent. Le film promet une traversée sentimentale à la lisière de la mémoire et du merveilleux, un conte sur le pouvoir réparateur de la rencontre.

Que cherche-t-il à dire ?
Le film veut interroger ce qui, dans une vie, décide de nos trajectoires, nos regrets, nos récits, ce que l’on tait, évite ou rejoue. La romance sert de prétexte à une expérience plus intime : sonder comment l’amour peut surgir du dévoilement des blessures. L’ambition est de rendre visible non l’idéal amoureux, mais l’effort d’accepter ce qui, en soi, est fêlé.

Par quels moyens ?
Le GPS rétro, avec sa voix autoritaire et anachronique, est une figure du destin technologique et comique. Les portes fonctionnent comme des plis narratifs. Elles ouvrent des vignettes mémorielles et transforment le road movie en anthologie psychique. L’idée est élégante : la technologie comme oracle mélancolique. On ne choisit pas où aller, on est guidé vers ce que l’on n’a pas voulu voir.

Le film excelle souvent sur le plan visuel. Les portes dressées au milieu du réel ouvrent des micro-fictions, des zones de souvenirs autonomes. Chaque vignette a son atmosphère : une séquence chantée, un mélo domestique, un huis clos hospitalier, autant de paysages affectifs renouvelés. Kogonada compose des images impeccables, cadres centrés, compositions symétriques, palettes colorées et saturées. Mais l’élégance plastique ne suffit pas à produire le sentiment. L’émotion exige une porosité entre le spectateur et les personnages. Ici les vignettes restent belles et vitrifiées, comme des miniatures derrière du verre. L’artifice est si présent que la suspension de l’incrédulité patine.

La tonalité sonore et la photographie semblent délibérément rétrospectives. Elles convoquent une nostalgie kitsch qui rappelle les rom com des années 90 et le cinéma de studio sucré. Ce choix esthétique est d'aller chercher le réconfort d’un cinéma rassurant pour mettre en crise ses codes. Mais le film ne semble pas pleinement capable de retourner cette esthétique contre elle-même. Le résultat est souvent lisse, parfois nunuche, rarement subversif.

Colin Farrell et Margot Robbie ont une alchimie perceptible. Leur présence physique irrigue beaucoup de scènes. Pourtant ils sont ici brimés par un scénario qui privilégie la forme à la contagion émotionnelle. La star ne suffit pas à créer l’âme d’un film. Parfois leur jeu reste en surface, pris au piège d’une esthétique qui exige du calme et de l’intériorité, mais qui en même temps multiplie les ruptures tonales.

Le film oscille entre conte fantastique, comédie romantique et mélodrame. Cette porosité est riche. Kogonada tente la mosaïque. Mais la mosaïque réclame des pièces qui tiennent ensemble par frictions internes, par tensions dialectiques. Ici les vignettes se succèdent comme des cartes postales plutôt que comme des strates d’un sol commun. L’effet est un beau livre d’images qui tourne à vide quand il faudrait qu’il brûle.

Où me situer ?
Quand un film veut nous émouvoir avec des procédés évidents, il doit offrir en échange une force sensorielle ou narrative capable d’arracher ce consentement. Ici la balance penche du côté des artifices. Les règles du monde magique restent vagues. Les portes apparaissent et fonctionnent sans un contrepoids explicatif ou symbolique suffisamment puissant pour justifier la foi que l’on doit leur accorder. Le film affirme, par son dernier acte, une volonté de réparation : apprendre à connaître l’autre par le partage des blessures, et à partir de là aimer. C’est un programme moral simple et séduisant. Cependant la mécanique conclusive du récit paraît trop prévisible. La promesse d’un amour réparateur reste littérale et n’expérimente pas la complexité éthique de la réparation. La romance finale est douce, polie, mais attendue. Malgré tout, le film produit des images qui tiennent. Quelques séquences touchent réellement. Quand Kogonada fait confiance à la lenteur, à la respiration, à un plan qui s’étire, le regard est pris. Il y a des moments où la beauté n’est pas décorative mais révélatrice. Ces moments trahissent le cinéaste qu’il sait être, celui capable de faire surgir une émotion par la précision du cadre.

Quelle lecture en tirer ?
A Big Bold Beautiful Journey demeure un film de bonnes intentions. Son ambition de mêler conte et romance, mémoire et parade visuelle, est louable. Mais l’écart entre l’idée et son accomplissement est sensible. Kogonada étire son geste formel sans parvenir à en tirer la vérité affective qui habite ses meilleurs films. On voit la route, on admire les panneaux de signalisation, on peine à sentir la vitesse.

cadreum
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le 30 oct. 2025

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