Support: 4K Bluray UltraHD


A Bittersweet Life fut une des mes premières incursions dans le cinéma coréen, succédant de près à la claque que m’avait mis Old Boy adolescent. C’était la découverte de Kim Jee-Woon et Lee Byung-Hun, et l’entrée dans un univers qui ne m’a pas lâché depuis, et qui me fascine toujours autant. Et si cette j’ai dû voir cette histoire de vengeance deux ou trois fois à l’époque, je n’y étais pas retourné depuis une quinzaine d’années. Par peur que la multitude vue depuis le renvoie à un statut d’ébauche perfectible et qu’il perde ainsi de sa superbe. Mais le plaisir est intact, et la note inchangée. Mieux encore, la sagesse des années me fait percevoir de nouvelles dimensions à un récit qui me semblait plus balisé dans mes souvenirs, ne me remémorant qu’une action diablement troussée et une esthétique sacrément léchée (ces deux points étant toujours vrais).


La parabole bouddhiste sur la perception des événements qui régissent notre vécu en nous faisant acteurs et non plus spectateurs, et les plans parallèles du début et de la fin où Sun-woo se regarde dans le reflet que lui renvoie la ville finissent d’ancrer le récit dans un cheminement introspectif pour le personnage. Initialement homme à tout faire qui obéit sans ciller, sa décision de désobéir l’entraîne dans une spirale qui dévoile progressivement, dans la douleur, les couches de son for intérieur. Le classieux laisse la place à des vagues de brutalité qui vont crescendo dans la déchéance de notre héros : immaculé à la première rixe, amoché en milieu de film, et baignant dans le sang lors de l’éclat final. Par le refus du déterminisme, notre héros doit affronter ses propres démons pour définir qui il est, ce qu’il désire, ce qu’il doit faire.


En devenant sa propre personne, il devient pour Kang, son boss, l’homme à abattre. Le mafieux ne peut plus avoir confiance en son servile domestique si celui-ci se prend à questionner, à ressentir, et à gagner son indépendance. Il devient la menace d’une personne motivée, une relève potentielle qui finirait par le détrôner. La nature de la faute n’a que de peu d’importance (après tout, la maîtresse est in fine épargnée), c’est son existence même qui remet en doute l’ordre établi.


Sun-woo s’est fait un nom pendant sept années, mais seulement en tant qu’outil indéfectible, jamais en capacité d’humain. La romance inavouée de l’homme pour la femme se traduit dans le lyrisme d’une action sans cesse en renouveau, se complexifiant à mesure des séquences. Mais cette romance n’est qu’un prétexte à l’ouverture de cet homme sur le champ des possibles, et n’a finalement que peu d’importance en tant que telle. Elle est un premier contact. Cette réalisation, précipitée par des cheveux tombant sur une épaule et le va-et-vient d’un poignet armé d’un archet, se fait dans l’amertume, et la douceur devient l’objectif


On pourrait enfin évoquer cet épilogue, où l’on voit Sun-woo boxer maladroitement le vide dans une candeur qui ne colle pas avec les deux heures passées, instille le doute sur l'affabulation totale du récit par un simple chauffeur qui se verrait vivre dans l’excitation : celle de l’action, celle de la passion, celle de l’héroïsme. Ou ne serait-ce qu’un flash-back de ses débuts dans le milieu, alors qu’il mettait le doigt dans un engrenage qui le mènerait à sa perte. Les deux hypothèses apportent la même touche mélancolique au métrage, faisant du protagoniste une figure tragiquement soulevée d’une vie certes banale mais exempte des souffrances vécues dans cette trajectoire descendante.


Et l’émotion, c’est aussi le rire, celui de cette parenthèse des marchands d’armes de Vladivostok en parfait décalage, comme il est de coutume au Pays du Matin Calme.


Et il y aurait sans doute à dire sur l’emploi du film de Fellini, La Dolce Vita, comme nom pour le bar qui sert d’ouverture et de fermeture au récit, mais ne l’ayant pas vu, et n’ayant pas envie de plonger dans des analyses qui me spoilerait, je me garderais bien de l’évoquer plus avant.


A Bittersweet Life n’a pas pris une ride, et reste une madeleine toujours aussi savoureuse, un pilier de ma cinéphilie adolescente qui continuera de soutenir celle du trentenaire bien entamé, et sans doute des décennies futures.



Créée

le 22 juil. 2025

Critique lue 13 fois

1 j'aime

2 commentaires

Frakkazak

Écrit par

Critique lue 13 fois

1
2

D'autres avis sur A Bittersweet Life

A Bittersweet Life
Gothic
8

"A Bittersweet Symphony" ou la verve de Lee Byung-Hun.

Attention, avant d'aller plus loin, quelques spoils (très légers cela étant) ci-dessous. Le cinéma coréen n'en finit pas de me surprendre à mesure de mes découvertes. Cela faisait un bon moment que...

le 10 févr. 2013

67 j'aime

15

A Bittersweet Life
Djokaire
9

A Bittersweet Movie

Punch. C'est le mot qui nous vient à l'esprit une fois que le générique défile devant nos yeux ébahis. Les noms apparaissent, disparaissent alors que l'on garde le même en tête : claque. Grosse...

le 9 déc. 2013

61 j'aime

24

A Bittersweet Life
Sergent_Pepper
6

La vengeance est un plat qui se réchauffe.

A Bittersweet Life fait partie de ces films qui devraient être, dans leur genre, vus en premier pour qu’on puisse les honorer entièrement ; désormais entouré de toute une multitude de comparses, il a...

le 6 févr. 2016

51 j'aime

4

Du même critique

KPop Demon Hunters
Frakkazak
4

Into the Consumerverse

Je dois admettre qu’au vu de l’affiche et du titre, il y avait peu de chances pour que je sois le public. Mais à y regarder de plus près, à y voir Sony Pictures Animation et des premiers retours...

le 26 juin 2025

38 j'aime

8

Assassin's Creed: Mirage
Frakkazak
4

Mi-rage, mi-désespoir, pleine vieillesse et ennui

Alors qu’à chaque nouvelle itération de la formule qui trône comme l’une des plus rentables pour la firme française depuis déjà quinze ans (c’est même rappelé en lançant le jeu, Ubisoft se la jouant...

le 10 oct. 2023

22 j'aime

2

Captain America: Brave New World
Frakkazak
2

Mou, Moche et Puant

Il était couru d’avance que Brave New World serait une daube. De par la superhero fatigue qu’a instauré la firme de Mickey par l’amoncellement de produits formaté sur les dix-sept dernières années...

le 10 mars 2025

20 j'aime

7