Cher John,


J'ai bien reçu ton colis et je t'en remercie chaudement. Toutefois permets-moi d'exprimer quelques réserves. En effet, j'avais poliment demandé à ce que tu m'envoies l'un de tes films, afin de pouvoir enfin m'initier à cette filmographie dont on parle tant dans les milieux autorisés. Or, en découvrant la pellicule que tu m'as expédié, A Dirty Shame, je n'ai pu m'empêcher de ressentir... un brin de décontenancement.


Bah oui, ne m'en veux pas, mais je me fie souvent à ce qu'on me dit, et on m'avait dit que ton cinéma regorgeait de freaks, d'euphorie et de bras d'honneur à ta mère patrie. Des éléments qui brillent particulièrement par leur absence dans le film qui nous concerne.


Entends-moi bien, il m'est impossible de détester viscéralement une oeuvre qui tourne en ridicule les gardiens de la pudeur, ces bachi-bouzouks de la morale qui se chargent d'avoir honte pour l'ensemble des Américains. Mais comme j'aurais aimé que ta charge, tout en conservant son énergie, soit assénée avec un brin plus de finesse ! Enfin, avec moins de lourdeur, surtout. Je sais bien qu'en 2004 l'humour d'American Pie était encore à la mode, mais déjà à l'époque tu aurais dû comprendre que les blagues à base de bites et de vagins, déjà ce n'est plus de ton âge, mais surtout quand on n'a que ça comme ressort comique pour un film d'1h30 eh bien il faut y aller à petites doses.


A ce propos, tu ne manqueras pas dans ta prochaine correspondance de me communiquer des nouvelles de ton monteur, car cette expérience l'a probablement traumatisé plus que tu ne le penses. Non, John, je t'assure, le jour où il a débarqué dans ton bureau, les veines saillantes, en se plaignant ardemment que ton scénario n'avait ni queue ni tête, ce n'était pas sa façon à lui de t'inviter à lui zorber le grec. Avec le recul, force est d'admettre que tu n'as pas agi en gentleman. Ce pauvre bougre a dû se dépatouiller seul dans une mélasse de plans dont le montage a dû s'avérer aussi agréable que la résolution d'un sudoku à 9000 cases. Pas étonnant qu'il en ait complètement oublié toute notion de rythme, et que tous tes gags tombent fatalement à plat.


Mais ce qui me titille le plus la tempe, mon John d'oeuf (désolé), c'est à quel point ton film sonne comme un faux John Waters. Ici point de freaks, peu de tronches, seulement des personnages qui adoptent des mimiques de freaks, qui confinent tellement à la parodie qu'ils en deviennent ridicules... et ton film par la même occasion. Désolé pour le gros mot, John. Elle assure pourtant, ta petite Tracey Ullman, mais y'a pas à tortiller du derche, ça vaut pas Divine niveau authenticité watersienne.


Surtout, surtout, un film comme A Dirty Shame, tu dois en ressortir avec une pêche pas possible, ou une trique d'enfer. Et là, rien. C'est là que ton échec se fait le plus cinglant, John, et que tu te loupes en beauté, là où tu nous accables en cherchant à nous donner du plaisir. J'aurais pourtant aimé ressentir chez toi ce que j'ai pu éprouver par ailleurs chez John Cameron Mitchell, avec cette vrai comédie hédoniste feel good qu'était Shortbus. A côté de cette pépite, A Dirty Shame passe pour une farce grotesque, une provocation trop puérile et facile pour arriver à transmettre quoi que ce soit.


J'espère que ces quelques reproches ne te vexeront pas et que tu continueras à m'envoyer tes films. Malgré la lourde déception qui m'assaille, l'envie de continuer à remonter la chronologie de ta filmo ne m'a pas quitté. D'ici là, tu restes pour moi le mec qui a fait porter une chemise hawaïenne à Bart Simpson.


Je te prie d'agréer l'expression chaleureuse de mes sincères salutations distinguées, et d'arrêter de déconner s'il te plait.


Magyalmar

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le 1 oct. 2016

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