Et boum ?
Un film réaliste, intelligent et sérieux sur le sujet de la bombe atomique. Ne venez pas chercher un grand spectacle. Plus qu'un thriller et loin d'être un divertissement. Il porte une réflexion...
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le 25 oct. 2025
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Le cinéma de Kathryn Bigelow est toujours ambigu : tout en écrivant une certaine mythologie américaine, il met l’intelligence de sa mise en scène au service d’un regard clinique qui invite toujours à gratter le vernis de la légende. D’une maîtrise indéniable lorsqu’il s’agit de montrer des hommes en action pour leur patrie, la cinéaste ne limite pas l’intelligence de sa mise en scène aux louanges de l’héroïsme : elle ausculte, dissèque et déconstruit.
House of Dynamite pourrait se présenter comme une réactualisation du sommet absolu de l’angoisse atomique, Point Limite de Lumet, chef d’œuvre injustement passé sous silence par la sortie, la même année, de son non moins indispensable pendant comique Docteur Folamour. Soit la réaction de l’Amérique à l’arrivée d’un missile nucléaire se dirigeant vers son sol. La première partie déploie tout le talent de Bigelow pour mettre en valeur une approche quasi documentaire, qui visite tous les services concernés et leurs acronymes développés à l’écran, les experts et les élites de la nation appliquant avec l’efficacité coutumière un protocole savamment anticipé, le tout dans ces superbes lieux saturés d’écrans, de parois vitrées et de téléphones. Certaines craintes affleurent donc assez rapidement : outre la glorification sempiternelle de la grande Amérique, les motifs sempiternels présentant des personnages et leur ancrage sentimental, pour les parents (un dino en plastique, une peluche), les couples, bref, toute cette sous couche indispensable pour faire de ces machines de guerre des êtres humains comme les autres. Bigelow ne renonce à aucun effet : sa musique insiste un peu trop, ses plans en caméra à l’épaule, dans l’esprit de la série 24h, cadrent avec une insistance un brin forcée les écrans, leur compte à rebours et les chiffres sur le désastre à venir. L’affaire semble mal engagée.
L’édifice tangue pourtant avec une indéniable maestria : la tension ne souffre aucun temps mort, et, surtout, l’absence d’information tangible sur les origines du tir et la conduite à tenir face à lui commence à contaminer les engrenages rutilants de la machine.
C’est le moment où Bigelow (et son scénariste, Noah Oppenheim, à l’œuvre également sur la déconstruction du mythe Kennedy dans le Jackie de Pablo Larraín) décide de convoquer un autre monument du récit, le Rashōmon de Kurosawa. Soit, au point crucial de la décision géopolitique majeure, un retour en arrière pour une nouvelle progression anxiogène, traitée par de nouveaux experts. On comprend alors que les personnages voués à occuper le devant de la scène seront relégués à l’arrière-plan du cadrage sur des nouveaux venus. L’édifice se fissure : l’identification ne fonctionne pas comme de coutume, l’assurance des protagonistes n’est pas en mesure d’anticiper les échecs que nous connaissons à l’avance, et le récit vire à la tragédie désabusée.
Le ver est dans le fruit : le spectateur, rivé à cette urgence continue, comprend que les éléments qui lui manquent (un écran noir sur POTUS, le président, un son hors champ énigmatique) sont voués à être mis en lumière au prochain segment, qui convergera vers la même ignorance, la même impuissance.
L’édifice s’effondre. La remontée sur la chain of command montre des élites au golf, ou au basket, assurant le show de la politique américaine. La charge satirique, subreptice, nous présente un président noir ; selon un subalterne, « au moins, celui-là lit les journaux » : tout renvoi à la gravité de la situation actuelle ne saurait être une coïncidence. Mais là encore, nul héroïsme épique à l’œuvre : l’Amérique a beau avoir plastifié son protocole, la réponse à donner en temps réel n’a rien de l’évidence. Face au dilemme, le temps se dilate, et aucune réponse ne semble satisfaisante.
La fin, qui fera probablement hurler d’un spectateur, est pourtant d’une limpide nécessité.
A trois reprises, le moment décisif aura débouché sur un écran noir : celui du troisième segment est précédé d’une convergence de tous les heureux élus vers un abri antiatomique, après des adieux déchirants à ceux qui doivent rester en surface. On ne saura ni d’où vient le missile, ni la réponse donnée par le président, qui doit choisir entre la défaite locale ou le suicide global. Mais la défaite a déjà eu lieu : c’est celle, annoncée dès le carton d’ouverture, de cette illusion d’un équilibre reposant sur les forces de dissuasion nucléaire. Parce que le monde repart en arrière, dans l’angoisse de la guerre froide, exactement comme ce récit sadique qui répète les échecs de cette histoire à court terme. Parce qu’il était hors de question de nous soulager avec le dénouement traditionnel dont nous gratifient tous les récits américains depuis des décennies.
Pour que l’angoisse se propage dans le hors champ du récit, le réel dont l’édifice n’a peut-être jamais été aussi vulnérable.
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le 25 oct. 2025
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