Il y a des films qui observent. D’autres qui dissèquent.
A House of Dynamite appartient à cette seconde catégorie : un film chirurgical, où Kathryn Bigelow ouvre le ventre de la décision politique pour en exposer chaque ramification, chaque terminaison sensible.
Si nous savons ce qui nous attend, les personnages eux, découvrent doucement, avec effroi que ce ne sera pas une journée normale. Dès que la menace du missile est confirmée, quelque chose se referme sur eux, et sur nous. Pris au piège dans cette salle des opérations, suspendu à cette écran géant, miroir minuté de l'inévitable, on ne regarde plus un film mais on assiste à une autopsie du pouvoir, froide, presque documentaire. Et pourtant, un souffle d’humanité persiste. Bien sûr chacun est père, mère, futur marié, fils, et ça aurait été criminel de ne pas en jouer car c'est finalement tout le propos du film.
Ce que Bigelow montre, avec une précision glaçante, c’est la fragilité absolue d’un monde où tout peut basculer en dix-huit minutes.
Dix-huit minutes pour prendre des décisions qui engagent une nation entière, peut-être le monde.
Dix-huit minutes pour maintenir les protocoles, commencer à les questionner, puis finalement vaciller sous l’ampleur de ce qu’ils impliquent.
Dix-huit minutes où les esprits les mieux formés, les plus préparés, peuvent perdre pied dans l’insondable vertige de leurs responsabilités.
Et dans cette mécanique, la réalisatrice, habituée des opérations militaires, fait un choix : taire les responsables.
L'ennemi, c'est le missile. Simplement. Missile qui a pu être tiré par tant d'ennemis.
Une menace fantôme qui, précisément parce qu’elle n’a pas de visage, ronge davantage ceux qui tente de l'empêcher, et sert parfaitement le propos du film.
Les dix-huit minutes deviennent alors une boucle infernale. Rejouées. Réinterprétées. Observées sous plusieurs angles et dévoilant de nouveaux indices au travers de différents lieux et personnages, comme une enquête impossible sur un événement qui refuse de se laisser résoudre.
Et quand enfin le film s’éteint, ce n’est pas une résolution que nous avons devant nous, mais bien plus de questions et surtout, le terrible sentiment que nous vivons tous dans une maison pleine de dynamites.
Katryn Bigelow signe ici une œuvre asphyxiante ou elle chorégraphie le doute et impose une tension perpétuelle, jusqu'à la résignation.