avr 2011:

Tudieu, cela faisait superbe et bandante lurette que je n'avais pas vu de Bergman! J'ai soudain eu l'irrépressible envie de voir un film du Suédois. J'ai donc demandé à ma chérie Jack de choisir un film parmi ceux qu'il a tourné en noir et blanc.

Et elle a opté pour celui-là parce qu'elle adore Harriet Andersson. C'est vrai qu'elle est très fortiche, d'une grande assurance, avec beaucoup de variété dans son jeu.

Ça tombait bien parce que le film compte également dans ses rangs un autre acteur bergmanien que j'admire, Gunnar Björnstrand. Il se coltine un personnage peu maniable, rongé par une incapacité destructrice à communiquer.

De même est-il difficile de dénigrer le jeu de Max Von Sydow dans un rôle tout en délicatesse et qui met idéalement en valeur la précision de son jeu ainsi que sa richesse de tonalités. Il est ici bien plus impressionnant que sur les autres films que j'ai vus de lui auparavant, cela donne une drôle d'impression, celle de découvrir un nouveau comédien. Je n'avais jamais été interpellé par une de ses prestations, voilà, maintenant c'est fait.

Je suis un peu moins enthousiaste devant la prestation de Lars Passgård.

Peut-être aussi faudrait-il signaler que la photographie du génial chef-opérateur Sven Nykvist souligne avec une majesté et une douceur veloutée peu communes les traits des personnages. Les nombreux gros plans assistent superbement l'expression scénique des comédiens.

Encore un de ces films de Bergman qui transfigurent les liens évidents du cinéaste avec la dramaturgie théâtrale, les techniques scéniques dans la représentation comme dans la déclamation pour produire un spectacle tellement vivant et incarné que les personnages et la tragédie qu'ils vivent semblent plus que réels, si concrets, si charnellement tangibles qu'on a le sentiment de les accompagner, d'être au cœur du drame, aux premières loges d'un théâtre vivant.
Le monde du théâtre se lit également dans la disposition de la caméra sur certaines séquences. Chaque pièce de la masure ressemble à une scène de théâtre. Troublant.

Et, tout en étant un pauvre inculte en matière de peinture, j'ai pourtant la nette impression que l'esthétique qui se dégage des décors nus -d'une austérité toute relative, parlons plutôt de pureté- doit faire écho à une tradition picturale particulière. Certains plans ressemblent à des tableaux.

Mais bien évidemment, le film ne se contente pas d'être une coquille vide. Visuellement très sophistiqué et étudié, il raconte tout de même une histoire, celle d'une famille prise dans des tourments chers au cinéaste ou du moins qui mettent en exergue des problématiques chères à Bergman : l'incommunicabilité affective entre les membres d'une famille et le rôle illusoire de la religion.

Un père, son fils, sa fille et son gendre sont réunis sur une île déserte, le temps de qui semble être un court séjour, peut-être un week-end. Le centre de l'attention se porte essentiellement sur la jeune femme, Karin (Harriet Andersson) victime d'une maladie mentale, chronique et a priori incurable, qui la met aux prises avec des épisodes hallucinatoires. Ces accès de folie épuisent progressivement les espoirs de rémission des êtres qui l'entourent.

Le film débute sur les joies factices que les enfants manifestent devant le père, et inversement. Quand le père est seul, il se laisse aller aux larmes. Quand le fils est avec sa sœur il confie son mal-être de ne pas parvenir à parler avec son père. Quand ils sont tous ensemble autour de la table, ce n'est que sourires et rires : une sorte de représentation continue, un trompe l’œil, un mensonge permanent que la petite pièce de théâtre jouée par les enfants pour le père parait symboliser de manière très concrète cependant. Chacun creuse de son côté le fossé entre père et progéniture, la maladie de la fille constituant pourtant une sorte d'aiguillon pour les obliger à communiquer, les mettre au pied du mur de la folie complète, le deuil, la perte définitive de la raison tenant de l'aboutissement final en même temps que point de non retour. Face à la mort de toute relation, de tout échange, ils se retrouvent comme obligés de réagir. Faute d'action, Bergman filme les réactions et montre bien les dégâts que le manque de communication peut engendrer sur les relations familiales et le développement, l'épanouissement de ses membres.

Après, l'aspect incisif à l'égard de la religion, plutôt de la foi pour être plus juste, est peut-être une lecture toute personnelle. J'ai l'impression que Bergman associe la foi de Karin avec la déraison, la folie. Elle même, dans l'un de ses retours à la raison, ressent cette réalité parallèle, ses hallucinations comme une illusion destinée à la perdre, à la tromper. Est-ce vraiment une attaque en règle du cinéaste contre la religion et les discours irrationnels qui lui sont associés? Je vois mal comment on pourrait le lire autrement, honnêtement. En tout cas, la critique est formidablement amenée, sans une grossière agressivité, juste avec la pertinence et la logique de la narration. Alors ce n'est pas aussi éclatant que ça? Plus suggéré que déclaratif. Peut-être que je me fourvoie dans mon agnosticisme bedonnant? Naaan...

Bien écrite, cette histoire fait preuve d'une belle simplicité, avec une pureté, une intelligence qui rendent le visionnage très plaisant. Voilà un Bergman parfaitement lisible et d'accès facile que je recommanderais volontiers à ceux qui voudraient découvrir ce cinéaste et craindraient de tomber sur une des ses œuvres absconses.
Alligator
9
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le 18 avr. 2013

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