Récit d'un hobbit par Biblon Sacquet et monceau de spoilers.


Les films de SF sur les mondes interstellaires sont des films à conséquence : c’est là-dessus que repose la solidité de l’ambiance, de la narration et la plus grande partie du contrat avec le spectateur. Quand rien ne porte à conséquence, quand tout se règle comme si de rien, la foule demande justice et rétribution. Chronique d’un soulèvement critique.


Le film commence par un tableau textuel, et comme Karim Debbache nous l’a appris, c’est un aveu de faiblesse, presque d’échec cinématographique : on n'est pas capable de vous faire comprendre en vous montrant (via le medium cinématographique seul) alors on vous écrit pour être sûr que tout le monde monte dans le train. D’autant plus ridicule ici qu’on nous explique que « dans un futur proche » (no kidding ?) les hommes sont sur le point de trouver (en tous cas cherchent) des formes de vies extra-terrestres intelligentes, ce qui nous est rappelé environ 30 fois par McBride père (Tommy Lee Jones) : c’est l’objet même du projet Lima qu’il dirige. Inutile, donc. Énervant d’emblée.


Je ne m’attarde pas trop sur la performance de Brad Pitt (très bonne sans surprise) ou la qualité de la mise en scène et des effets spéciaux (qui sont de gros atouts, comme le paysage lunaire ou tous les éléments de technologie qui m’ont semblé très crédibles) : ce sont des acquis. Aujourd’hui, un film de science fiction ne brille plus pas la qualité de sa FX, c’est un prérequis. Même s’il arrive qu’on se fasse encore avoir par un grand spectacle dénué de fond.


Le personnage de Brad Pitt est a priori intéressant : un major exemplaire, fils d’un héros de la conquête spatiale, mandaté pour entrer en contact avec une mission disparue depuis des années. Le pitch aussi est intéressant. Tout est très prometteur dans ce film (la scène d’exposition est géniale) : un développement de personnage au sein d’un monde à l’armature vraisemblable (des bases lunaires aux allures de métro, de la piraterie et des conflits géopolitiques pour les ressources dans les zones théoriquement internationales de la Lune) et une intrigue simple mais doublée d’enjeux mondiaux et secret défense. Qu’est-ce qui pouvait mal se passer ?
Il pouvait se passer une montée en abstraction totale, incompréhensible, une mise de côté de la plupart des enjeux, une focale absolue sur le personnage de Roy McBride qui, au départ indécis, s’embarque dans une mission complètement personnelle de laquelle sont évacuées toutes les autres préoccupations narratives. Pourquoi pas, si cette révélation du personnage a les reins pour endosser un « Vers l’infini et au-delà » qui nous fasse frissonner.
Mais à mesure que se dévoile la partie finale de l’histoire, et surtout à l’aune de la conclusion, a posteriori donc, il apparaît que l’édifice s’écroule comme un château de cartes.


Pour commencer, le personnage fait fi de tout. Il est censé être surveillé, ses actions verrouillées par SpaceCom, une sorte d’organisme public-privé (coucou SpaceX) qui contrôle ses faits et gestes. Mais il parvient, mû par une force tragique, à investir la mission qui doit retrouver le projet Lima. Soit. Des gens meurent à cause lui. Il regrette un peu, l’espace d’une seconde ou deux, et puis finalement ça va. Jamais il ne fait face aux conséquences de ses actes, ou alors le spectateur n’en sait rien (ce qui revient au même). Il dit lui-même dans sa meilleure imitation d'un héros cornélien que « l’histoire décidera ». Ah ? Mais tout cela pourrait se justifier, si les motifs et les évènements étaient à la hauteur.
Le voyage vers Neptune revêt au départ tous les atours d’un aller simple ; la folie le guette, tout va enfin être révélé. Et puis il arrive sur le vaisseau Lima. Son père est là. Littéralement identique à ce qu’on voit dans le message secret : un vieux fou seul sur son vaisseau à la dérive, qui met en péril l’humanité et même la stabilité du système solaire (le scénariste s’est pris pour Cell quand il a écrit cette phrase, il s’est dit : là au moins ils vont écouter). Pis il veut pas rentrer, pis Roy veut qu’il rentre, pis c’est déchirant. Il finit par partir à la dérive, seul dans l’espace. Ok. Donc Roy fait ce que les Américains savent faire le mieux : nuke dans ta gueule et on rentre à la maison en surfant sur l’onde de choc. Fuck yeah. Le voyage sans retour s’est transformé en simple villégiature : le fils est libéré de l'abandon de son père, on ne sait pas trop comment, il a vu la lumière. Très bien.


C’est un sacré gâchis, car le film met très bien en place les étapes d’un voyage inéluctable, d’une fuite en avant tragique : le passage sur la Lune, puis sur Mars, où l’ambiance elle-même a une saveur d’irréversible. Mais le contrat est rompu pour des raisons qui m’échappent.
De deux choses l’une : si Neptune est si facile à atteindre et qu’il est si simple d’en revenir (un petit souffle nucléaire, mais on va pas me faire croire que si on a fait comme ça on peut pas faire autrement), pourquoi McBride père pète les plombs à ce point quand trois gus de la team ont le mal du pays et veulent rentrer ? Ça n'a pas l’air beaucoup plus compliqué de faire la navette entre la Terre et le projet Lima qu’entre la Terre et l’ISS aujourd’hui, un brin plus long c'est tout. Les motifs de sa « folie », de sa « démence », en prennent un coup. La seconde partie du film s’emploie, sans doute malgré elle, à discréditer et à mettre à bas tout ce qui a été posé dans la première partie. Les enjeux sont détruits, les ressorts dramatiques sont sapés : exit les questions de secret défense, exit la complexité du personnage de Roy McBride ; il est même accueilli par Liv Tyler à l’aéroport à la fin, si c’est pas mignon ? En route pour les Havres Gris.


Ma conclusion est simple : le titre c’est Ad Astra : « Vers les étoiles ». Pas « Vers les étoiles et oublie pas de prendre ton billet retour, c'est moins cher si tu réserves à l'avance ». La trahison est complète.


Postface : j'ai une fin à proposer. Roy arrive sur le vaisseau Lima, qui est vide. Des cadavres des anciens membres d'équipage, mais aucune trace de son père. On suppose (ou pas) qu'il a franchi une étape de plus dans le craquage de slip et qu'il est parti avec sa bite et son couteau à la recherche de ces vies intelligentes parce que ce foutu matos technologique ça vaut pas un kopek. Roy ne sait pas plus que le spectateur. Il se laisse dépérir, avec pour seul compagnon son ignorance et le silence éternel de ces espaces infinis. Le vaisseau Lima fait figure d'Atlantide, foudroyée dans son ambition de rejoindre les dieux (ce qui permet un raccord avec la phrase de McBride père, qui croit sentir Dieu à ses côtés). Rideau.

Menqet
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le 23 oct. 2019

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