L'homme est cet animal qui sait qu'il est né pour mourir, que sa mort est inéluctable, qu'il ne peut que tenter de la différer le plus longtemps possible. Pour trouver le courage de vivre (donc de livrer un combat quotidien qu'il perdra au bout du compte inéluctablement, il le sait), l'homme a besoin de rêve et d'espoir, de croire, sinon en Dieu (c'est à dire à la promesse d'une vie éternelle), du moins en l'humanité, en une chaîne humaine qui, par delà les générations, de progrès en progrès, parviendra à dépasser les limites de l'entendement, à vaincre la fatalité, la mort, la finitude, à se déplacer aux quatre coins de l'univers, comme un propriétaire immortel visiterait le domaine qu'il s'est, année après année, siècle après siècle, approprié.
Dans Ad Astra, James Gray nous conte (car son film est un conte) l'homme héroïque et triomphant. Un homme qui ne craint pas de se rendre à 4,367 milliards de km de la planète Terre pour résoudre un gravissime problème : des émissions d'anti-matière (à dire vrai, je ne suis pas sûr d'avoir parfaitement capté l'aspect purement technique du problème imaginé par James Gray et son co-scénariste) perturbatrices du système solaire dans son ensemble et qui menacent d'annihiler à brève échéance la civilisation humaine dans sa totalité. Ces émissions perturbatrices ont été identifiées comme provenant d'un vaisseau spatial dont on n'avait plus aucune nouvelle depuis quelque 25 ans, qu'on a très récemment pu localiser à la périphérie de Neptune (aux confins du système solaire), mais qui ne répond pas aux injonctions des scientifiques américains (grosso-modo, une société privée qui a pris le relais de la NASA) lui demandant de cesser ces émissions. Or, ce vaisseau rebelle (?) serait toujours commandé par le père de celui dont on suit les faits et gestes depuis le début du film : l'astronaute Roy McBride, qu'on va alors charger de renouer le dialogue avec l'auteur de ses jours (qu'il croyait mort, disparu en héros de la conquête spatiale, depuis plus de vingt ans). Et donc, le film raconte le voyage interplanétaire de Roy McBride, jusque Neptune et retour, voyage incluant, comme pic dramatique, la confrontation avec son père et la possible extinction des fameuses émissions perturbatrices mettant à mal la survie de l'espèce.


Évidemment que cette odyssée sidérale est invraisemblable, mais on s'en fiche. Bien sûr qu'il y a 9.999 chances sur 10.000 pour que l'homme ne soit jamais capable de se transporter à des milliards de km de la Terre et d'en revenir sain et sauf. Combien de temps faudra-t-il déjà pour qu'il s'installe avec un minimum de confort sur Mars (s'il y arrive jamais) ? Des siècles... à supposer que la civilisation humaine dure jusque là.
Donc, les critiques sur la vraisemblance de telle ou telle péripétie, on é-va-cue (tout ça, de toute manière, n'est que pure fiction). L'important, c'est que grosso-modo, cette fantastique aventure ne paraisse pas exagérément improbable. Et improbable, l'histoire imaginée et mise en scène par James Gray ne le paraît pas beaucoup plus que celle racontée par Damien Chazelle dans First Man (oct. 2018), film historiquement vrai. Et elle est tout de même bien plus intrigante, exaltante, haletante. Ensuite, Ad Astra est magnifiquement filmé. Ces prises de vue représentent, à l'évidence, un tour de force technique (par ex. Brad Pitt, même quand il porte son "casque-globe" de cosmonaute, nous reste très présent). De plus, on suit facilement l'histoire qui, malgré sa densité, sa complexité et toutes ses péripéties, tient en deux heures (pour un voyage aller-retour de neuf milliards de km !). La performance est quand même impressionnante... avec un scénario qui (même s'il emprunte à Kubrick et Coppola, voire à Cuarón) n'adapte aucune oeuvre littéraire existante, est une création ex nihilo. Et psychologiquement, Ad Astra n'est pas sans mérites. Ce fils aimant qui veut ramener son père vers la Terre, l'humanité, sa famille, lui ; ce père entièrement dévoré par la mission qu'il s'est assigné : découvrir une présence extra-terrestre dans notre galaxie ou ailleurs, incapable de renoncer à cette idée et d'accepter l'échec, incapable de se contenter de ce qu'il a sous les yeux et d'en apprécier la beauté, bref préférant la mort immédiate à l'acceptation d'une vie différente de celle dont il rêvait... et parvenir à mettre en images tout ça de façon spectaculaire et accessible à tous, c'est quand même un joli tour de force. On n'est pas dans le chef d'oeuvre, mais on n'est pas non plus dans le simple bon film, et encore moins dans le ratage dont parlent certains.
James Gray s'est essayé au genre science-fiction. Un scénario original et limpide ; des décors, une direction artistique irréprochables ; des images magnifiques, une musique qui invite au voyage, un Brad Pitt sobre et convaincant. Pour moi, c'est un essai marqué et transformé... Même si la conclusion du film, les quatre dernières minutes me rendent un tant soit peu sarcastique.
De retour sur Terre, le major Roy McBride, tirant leçon de sa fabuleuse épopée, retrouvera le goût de vivre, le simple courage de vivre et d'aimer et, probablement, de mener la vie de famille d'un héroïque cosmonaute à la retraite, qui a bien mérité de l'humanité.


Remarque. Se rendre à 4,367 milliards de km de la Terre est certes moins vertigineux qu'à 4.367 milliards de km, comme annoncé dans le sous-titrage français du film, le traducteur de service ayant oublié de faire la conversion point / virgule entre séparateur décimal des pays anglophones (.) et séparateur décimal francophone (,), mais ça fait quand même déjà assez loin.

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le 24 sept. 2019

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Fleming

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