J’aime faire des expériences de cinéma de temps à autre, comme visionner « Africa addio » sur la bande originale de « El Cristo del Océano » signé par le maître Bruno Nicolai. C’est incroyable comme une image peut révéler un point de vue différant suivant le son ou les mots qu’on lui accole. Le commentaire ou la musique contextualise le mouvement, lui donne littéralement une opinion, un sentiment, une émotion supplémentaire. Précisément, faire une telle expérience avec le film de Gualtiero Jacopetti et Franco E. Prosperi prend tout son sens tant les cinéastes italiens affichaient leurs ambitions avec une assurance déconcertante : nous vous montrons la vérité.


« Le public n'était pas prêt pour ce genre de vérité » Prosperi – 2003 -


La prétention du « cinéma vérité » n’est qu’une prétention que l’on donne aux images, le genre Mondo – initié par « Mondo Cane » - l’a parfaitement démontré, tant le racolage et la violence graphique corrobore l’expression « vérité » du propos. Le duo sulfureux paraissait convaincu par cette idée jusqu’à la fin de leur vie. Les images d’« Africa Addio » parlent d’elles-mêmes, par conséquent, ne peuvent souffrir d’aucun autre commentaire que celui qu’ils en font. Une démarche très similaire aux chaînes d’informations en continu où – très souvent – des images violentes sont diffusées, commentées dans une officielle neutralité par les journalistes. Les images sont réifiées au profit d’un nouveau contexte narratif, d’une nouvelle identité. À ce titre, il est intéressant de noter que Jacopetti commença sa carrière comme journaliste.


Le fait qu’« Africa Addio » soit perçu comme une apologie du colonialisme européen (c’est clairement le cas, la voix off du film est limpide quant à son orientation idéologique.) n’est pas le réel souci d’un point de vue du médium cinématographique, ça reste un point de vue - comme « Olympia », par exemple - ce n’est pas ce qui en fait un mauvais film. Le souci est que la démarche initiée par les deux réalisateurs est contestable, ils ne comprenaient tout simplement pas le médium, l’image amène à une conclusion fixe, indélébile. C’est un souci qui – je pense – a contribué grandement au comique involontaire de « Mondo Cane », puis par la suite, au cynisme et à l’humour noir volontaire lors de la démocratisation du genre.


« Africa Addio » - par sa démarche - est aussi révélateur d’un révisionnisme hallucinant qui peut être fait sur une œuvre, à l’instar d’un « Fight Club » vu aujourd’hui par certains critiques comme une dénonciation de la masculinité toxique (vaste blague !). Le film de Prosperi et Jacopetti est la cible d’une vision totalement dépolitisée par ses ardents défenseurs, parmi lesquels le célèbre géniteur d’ « Hostel » Eli Roth. Dans une présentation de la version américaine du film, Roth ne cacha pas son admiration pour ces « merveilleux cinéastes ». Au-delà, du fait qu’il parlera du charcutage de la version américaine avec une voix off totalement différente dénaturant le propos, Roth expliquera que le film nous montre ce qu’un territoire devient lorsque qu’il n’y plus aucune organisation, éludant totalement le propos politique plus qu’ambigu, certainement gêné de tenir en grande estime un pamphlet apologétique et paternaliste du colonialisme européen.


Un film intéressant à visionner au moins pour toutes ces raisons, mais aussi parce qu’il est objectivement bien fichu. En ce qui concerne l’Afrique et le cinéma, on peut tout à fait ne pas se contenter de cette vision étriquée et quelque peu racoleuse, notamment en allant découvrir le cinéma de Sarah Maldoror, Ousmane Sembène, ou encore, les deux chefs-d’œuvre de Djibril Diop Mambety (Touki Bouki – Hyènes), afin d’éclairer davantage sa lanterne sur les enjeux des guerres d’indépendance ou de l’Afrique, en général.

BaronDuBis
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le 2 mai 2023

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