Un film sur l'adolescence d'aujourd'hui ? Pas le truc qui m'attire spontanément. Comme souvent, c'est la critique flatteuse de la presse spécialisée qui m'a incité à franchir le pas.


Je craignais le langage surchargé en tics verbaux, façon Metktoub my Love, ce n'est pas (trop) le cas. De voir en permanence des addicts au portable, ce n'est pas (trop) le cas. Ou encore des êtres obsédés par les marques, ce n'est pas (du tout) le cas. Le film ne surprend pas pour autant : le jeune est mal dans sa peau, tout ce qui est scolaire l'ennuie à mourir. Les filles entre elles (puisqu'il s'agit d'elles) parlent essentiellement des garçons, elles admirent les mecs baraqués mais ont aussi un fond de romantisme tenace. Les profs s'efforcent de trouver le bon langage pour parvenir à remplir leur mission devant un public le plus souvent rétif à l'école. Rien de très inattendu.


C'est lorsqu'il focalise sur la relation de ces deux filles avec leurs parents, et singulièrement avec leurs mères, que le film devient intéressant, voire attachant.


J'ai trouvé les parents d'Anaïs touchants de fragilité et de maladresse. Cette mère qui ne veut pas laisser partir sa fille et qui le dit sans fausse pudeur... Ce père un peu dépassé mais à l'écoute... L'amour circule dans cette famille-là et c'est assez beau.


Chez Emma, autre cadre : un père absent, une mère omniprésente. Tension permanente entre celle-ci et sa fille, qui devient franchement comique à la fin (la scène de Parcour Sup, délicieuse). L'unique scène où le père apparaît est, elle, assez émouvante tant on sent Emma incomprise et sous tension.


Anaïs, c'est le milieu populaire, la grosse forcément, qui n'aime pas l'école et va faire un bac pro. Emma, c'est la classe moyenne-supérieure, qui marche bien à l'école, chante, fait du théâtre, de la danse et voudrait faire du cinéma. Le déterminisme social dans toute sa splendeur ! Une réalité en France, l'un des pays champion en la matière malgré les efforts des enseignants. On pourrait croire ces portraits caricaturaux, mais Sébastien Lifshitz a le talent de ne pas forcer le trait. On n'est pas chez les Groseille et les Le Quesnoy. Et ça, c'est un sacré réconfort.


La réalisation reste assez académique. Oserai-je quelques suggestions à Lifshtiz si d'aventure il voulait créer un cinéma plus personnel ? En toute modestie bien sûr ! Je me l'autorise d'autant plus qu'il y a peu de chances que l'intéressé me lise...



  • Ne PAS faire des raccords entre les scènes avec de la musique, façon clip. J'ai de plus en plus de mal avec la musique extra diégétique, c'est certain. Lorsqu'en plus elle est assez insipide, à la limite de la mièvrerie, son usage affadit cruellement le film... C'est qui le coupable ? Tinderstick c'est ça ?

  • Ne PAS faire ressentir l'arrivée de l'hiver par un plan de nature enneigée.

  • Lorsqu'on a réalisé un beau plan (il y en a quelques uns), le faire durer plus de 1 seconde, pour qu'il soit autre chose qu'une carte postale.

  • S'interdire absolument toute scène en boîte de nuit, l'un des clichés du cinéma contemporain (ok, je fais aussi une fixette là-dessus).


Toutes choses qui rendent cet Adolescentes un poil moins passionnant qu'il pourrait l'être. Car Sébastien Lifshitz signe par ailleurs quelques belles scènes, par exemple ce qui a trait au terrorisme : Anaïs distinguant les musulmans des djihadistes devant ses parents, ou encore la discussion en classe suite à l'attentat au Bataclan. L'irruption des événements nationaux dans le microcosme de Brive-la-Gaillarde est chaque fois réussie, à l'image de l'élection de Macron, où l'on constate avec effroi que la plupart des lycéens de là-bas espéraient Marine... Lifshitz a accumulé quelques 500 heures de rush, ce qui lui permet de nous en livrer la substantifique moelle, les moments les plus authentiques et forts.


Malgré quelques platitudes formelles, cet Adolescentes, mine de rien, n'est pas loin de réaliser l'exploit : me faire aimer l'âge ingrat. Une gageure.

Jduvi
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le 22 sept. 2020

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Jduvi

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