[Critique parue dans Jelly Brain n°9 de février 2020]
Jamais là où on l’attend, Fabrice Du Welz récidive avec une proposition de cinéma complexe, dans son style habituel, atmosphérique et dérangeant. Plongée dans un univers onirique dont personne ne sortira indemne.
Après un Message from the King surprenant où il rendait un hommage brutal à la blaxploitation, le Belge revient sur sa terre natale et à ses premiers amours : le thriller social. La filiation est donc plutôt à chercher du côté de Calvaire et Alléluia, avec lesquels Adoration forme une sorte de « trilogie ardennaise ». Au-delà de rapprochement thématiques (une forme d’amour malsain dans chacun des trois films) ou anecdotiques (le prénom Gloria omniprésent), il y a surtout une forme d’errance contemplative qui n’est pas sans rappeler un certain Terrence Malick.
Le point fort d’Adoration est à n’en point douter son duo d’enfants acteurs, bluffant chacun dans leur propre registre. Thomas Gioria, d’une incroyable justesse, campe parfaitement ce gamin paumé et livré à lui-même. Quant à Fantine Harduin, dans un rôle vraiment compliqué, elle s’en sort avec plus que les honneurs. Ses crises d’hystérie sont en effet plus vraies que nature et impressionnantes considérant son jeune âge. L’alchimie entre ces deux-là était vitale pour la réussite d’un tel projet et elle transpire dans chaque plan, devenant le véritable moteur du film. Il faut également compter sur une apparition de Benoît Poelvoorde, brève mais bouleversante de sincérité.
Comme à son habitude, Du Welz nous offre une mise en scène et des décors sublimes, rendus encore plus mystérieux par une bande-son envoûtante. Certains plans très travaillés sont ainsi de véritables œuvres d’art, à l’image de ces deux silhouettes solitaires et innocentes descendant une colline. Le distributeur étranger ne s’y est pas trompé : il en a fait l’affiche du film, simple et minimaliste. Ce qui fait d’ailleurs magnifiquement écho à l’atmosphère captivante du métrage, à tel point qu’on en finit par se demander comment le Belge a pu réussir à allier douceur et brutalité sans jamais verser dans l’excès.
On pourra une fois de plus lui reprocher une fin abrupte qui donne une impression d’inachèvement et amène plus de questions que de réponses. Peut-être était il persuadé de ne plus rien avoir à dire sur ce couple insolite, nous laissant seuls décideurs de leur destin. Ou peut-être ne voulait il pas s’acharner davantage sur ses personnages, leur ayant déjà fait subir de terribles épreuves. Qu’importe ce que l’on décide de croire, force est de constater que Fabrice Du Welz reste un auteur singulier très précieux dans le cinéma francophone, qui n’a pas peur d’aller au bout de ses idées. Sa filmographie étant déjà très éclectique, on est impatient de savoir ce que l’avenir nous réserve.