Il y a des fois où, comme face à cet « Adoration », je reste totalement de marbre, insensible, du début jusqu’à la fin.


Alors dans ces moments là je me pose la question : qu’est-ce qui cloche au point que je n’arrive pas DU TOUT à rentrer dans le film ?
Une question qui m’a d’autant plus hanté dans le cas présent puisqu’avec « Adoration », j’avais affaire à un film dont le réalisateur m’est pourtant très cher puisqu’il s’agit de Fabrice du Welz.


Alors certes, c’est vrai que j’ai eu du mal avec sa caméra au poing qui tremblait pour un rien ; avec ses quelques zooms brutaux qu’il fait parfois dans l’espoir de surappuyer certaines émotions ; ou bien encore avec sa photographie jaunie assez baveuse que je n’ai pas trouvé très raccord avec les lieux, les thématiques et même les costumes. (Quand la couleur portée en permanence par ton héroïne c’est le rouge, tu ne choisis pas le jaune comme teinte dominante. Enfin bon, moi je dis ça, ce n’est peut-être qu’une affaire de goûts après tout…)


Mais malgré tous ces petits soucis formels, je me dois tout de même de reconnaître qu’au-delà de ça, « Adoration » s’efforce de construire une histoire touchante entre deux adolescents tout en sachant éviter les pièges les plus fréquents.
Ses personnages sont plutôt crédibles. Non seulement leur écriture tient la route mais en plus ils sont tous deux remarquablement interprétés par les pourtant très jeunes Thomas Gioria et Fantine Harduin. Et à cela s’ajoute même de nombreuses tentatives formelles qui cherchent à exacerber les sens, que ce soit par des effets de lumière, de montage ou bien par des nappes musicales.
Et pourtant, malgré tout cela, rien n’y a fait. Je suis resté de glace.
Toujours à l’extérieur de ce film.
Exaspéré même…


Mais alors que s’est-il donc passé entre cet « Adoration » et moi ?
…ou plutôt que ne s’est-il PAS passé ?
Car en réalité le problème est bien là.
Il tient non pas dans ce qui est mais plutôt dans ce qui manque
Or, selon moi, ce qui manque ici à cet « Adoration » c’est de l’élan.
Pour espérer émouvoir, encore faut-il que le film soit capable de mouvoir.
A un moment donné, il faut donc forcément que survienne une pichenette ou un déséquilibre qui sorte le spectateur de son immobilisme, de ses certitudes, voire de sa léthargie.
Or, avec « Adoration », cette pichenette ou ce déséquilibre, chez moi, ils ne sont jamais venus.


Et la raison à tout cela me semble bien simple.
Dès la première minute de film, j’avais déjà toute l’intrigue en main.
J’avais compris qui était ce garçon, ce qui le caractérisait et comment il allait évoluer puis finir. De la même manière que j’avais déjà tout compris de qui était la fille, de ce qui la caractérisait et de comment elle allait évoluer puis finir.
Un vrai sentier dégagé jusqu’au point d’arrivée.
Une longue piste d’aéroport d’1h40 allumée d’un bout à l’autre.
Zéro surprise. Rien que de l’évidence.


Alors OK, on peut très bien commencer un film comme ça et puis finalement rentrer dedans, progressivement. Mais pour que cette chose survienne, encore faut-il qu’à un moment ou à un autre, le film nous apporte une situation à laquelle on ne s’attendait pas. Une scène qui offre un angle qu’on n’avait pas anticipé. Un décalage. Une richesse.
Or là, plus le film avançait et plus il ne faisait que confirmer ce que je savais déjà depuis le départ, répétant sans cesse les mêmes choses ; reproduisant ad nauseam les mêmes situations...
Ainsi, à force de rester aussi longtemps sur son sentier des évidences – et surtout à reproduire sans cesse le même schéma dans la relation malsaine qui unit Paul à Gloria – ce film a fini par me lasser. M’ennuyer. M’exaspérer…


Alors peut-être est-ce sévère de claquer la porte assez sèchement au nez de cet « Adoration ».
2/10, c’est violent tout de même, et j’en ai parfaitement conscience.
Seulement voilà, quand un film – aussi bien joué et aussi honorablement réalisé soit-il – ne parvient à AUCUN moment à me prendre à défaut, c’est qu’au fond il n’a rien de plus à dire que ce que je connais déjà.
Moi, cet « Adoration », je ne sais pas où je l’ai déjà vu, mais j’ai vraiment l’impression de l’avoir déjà vu mille fois. Et cette histoire, au fond, elle est juste atrocement banale. Prédictible. Sans réel intérêt ni audace.


Et moi tout ça, ça m’amène à la conclusion suivante.
On a beau être un très bon conteur et disposer des meilleurs outils pour transmettre ses récits, quand on n’a rien à dire, toutes ces qualités deviennent vite bien vaines.
Inutile d’espérer un bon café d’un excellent moulin qui n’a pas de grain.
Car au fond « Adoration » c’est ça. Ce n’est même pas un mauvais café. C’est juste pas de café du tout. C’est un moulin qu’on regarde tourner à vide, la tasse à la main, à attendre comme un con ce qui ne surviendra pourtant jamais.


Triste constat donc venant de Fabrice du Welz.
Lui qui s’était plaint que son expérience américaine l’avait brimé de toute part, voilà que son retour en Europe aboutit à un film aphone.
C’est d’ailleurs là tout le mal de ce type d’« adoration ».
A vouloir rester aveugle pour préserver son amour, on en perd sa lucidité.
Et à défaut d’avoir perdu son cinéma, ici, Fabrice du Welz a tout de même perdu tout le reste, ce qui, au vu du résultat, semble au final presque pire…

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le 27 janv. 2020

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