After Yang
6.3
After Yang

Film de Kogonada (2021)

L’ouverture d’After Yang nous propulse avec malice dans un futur qui restera d’autant plus indéterminé qu’on le sent très proche de notre présent : une famille s’y livre à une chorégraphie endiablée en concurrence avec d’autres, dans une rythmique electro-pop entrainante et, déjà, légèrement angoissante. Ce malaise discret infusera toutes les prises de vue d’un film à la photographie impeccable, et qui présente les intérieurs, la ville ou la nature comme on le ferait sur un site tentant de vous refourguer une quelconque formule payante.


Douceur laiteuse de l’image, soin maniaque apporté au cadre, minéralité soignée des parois murales, attention portée à la présence végétale, rien ne manque : à l’image du rituel maniaque du thé tout est pensé pour le confort et l’apaisement. Mais cette aseptisation renvoie aussi, en sourdine à ce sentiment de vivre au sein d’un monde factice et construit par d’omniprésentes et invisibles multinationales. Une idée déjà présente dans la série Devs, et qui se développera dans la conscience du père au moment où le robot de compagnie tombe en panne, et qu’il s’agit d’aller farfouiller du côté des coulisses techniques pour maintenir l’équilibre familial.


After Yang visite ainsi à sa manière la thématique de l’intelligence artificielle et de la manière dont elle renvoie l’humain à sa construction face à ce qui ne lui est plus propre : les sentiments. Les humanoïdes de Blade Runner demandaient à vivre plus longtemps, l’enfant d’A.I. voulait retrouver l’équivalent d’une mère biologique, et l’OS de Her traversait un temps la phase humaine de son évolution en s’initiant à la passion amoureuse. Yang, plus discrètement, ouvre une béance dans la famille par sa brusque absence, et n’existera par la suite que par une agrégation de fragments, voire de composantes, qui bâtiront l’archipel fragile de son humanité. Le manque, d’abord, pour la fillette dont il était le tuteur, garant d’un contact avec son identité chinoise, et à laquelle les parents ne peuvent expliquer la nature de ce qu’elle ressent : peut-on parler de deuil face à un robot qui a artificiellement construit sa personnalité à la mesure de vos attentes ? L’identité, ensuite, dans une enquête qui renvoie à une existence antérieure et s’intéresse à l’appartenance intime d’un être qu’on pourrait réduire au statut d’esclave de compagnie.


Si les différents éléments de l’enquête ne sont pas toujours à la hauteur de la profondeur attendue, et que le voyage dans les strates mentales font bifurquer la direction artistique vers des clichés évitables, la mélancolie générale garde son emprise sur l’évolution de l’intrigue. After Yang poursuit cette dissertation sur la présomption des évolutions technologiques à vouloir abroger les grands vertiges philosophiques. L’attachement amoureux, le mystère opaque d’un individu ou l’effroi face à la mort infusent le cadre et sondent sous les surfaces, dans une éternelle répétition symbolisée par l’intégration des techno sapiens au musée d’une nouvelle mémoire. Car, post-humain ou non, la question du deuil reste le grand et obscur miroir porté aux consciences des humains, tout occupés qu’ils sont à faire pousser des branches sur leur arbre généalogique : There’s no something wihtout nothing.


Sergent_Pepper
7
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le 6 juil. 2022

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Sergent_Pepper

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