La Belle et la Bête n'a pas seulement amorcé le recyclage avec lifting, imposé de force sur la charte concernant les remakes en prises de vues réelles des Classiques Disney, il a surtout fait prendre conscience à son studio que le public ne se déplacera massivement dans les salles que pour des grands spectacles populaires, plus encore s'ils viennent d'une période vénérée par la foule, les années 1990's, l'Âge de la Renaissance où la formule redevient gagnante et s'adapte aux mœurs de la société.


Aladdin résonne alors comme un coup de tonnerre en 1992, avec son héros en tort, sa princesse caractérielle, ses scènes d'action vibrantes et un Robin Williams qui donne un punch triomphal à l'ensemble. Quoi de plus logique que de le prioriser comme prochaine histoire à remanier. Comme si un film si important pour le cycle dans lequel il s'inscrit pouvait perdre sa valeur pour être refait dans un but purement industriel.


Bien que cette nouvelle version de 2019 ne soit pas aussi répugnante qu'on aurait pu le croire, surtout en comparaison avec l'infâme bousin de Bill Condon sorti en 2017, il serait gentil de dire qu'elle étouffe face aux obligations des exécutifs, pouvant faiblement s'exprimer via quelques nouveautés pas toutes ratées mais timidement amenées, et s'exprimer au nom de qui, on se le demande.


Guy Ritchie avait-il anticipé le four de son Roi Arthur pour accepter aussi vite de jouer au yes-man sur un projet dont il n'aurait aucun contrôle et où il ne serait pas du tout dans son élément? Si on peut reprocher nombre de choses au réalisateur, il serait mauvaise langue de dire que ses films sont plats. Or, Aladdin est la définition du plat. Ritchie paraît éteint tout du long et n'arrive qu'à 2-3 (très courts) moments à se réveiller. Lui qui aime la vitesse, la rapidité et l'énergie, il ne communique rien de tout ça à travers une mise en scène dénuée d'imagination, interchangeable avec celle de n'importe quel nouvel arrivant dans le milieu.


Si les scènes au palais affichent une absence d'inventivité invitant à piquer un petit roupillon (toujours les mêmes couloirs, les mêmes salles, les mêmes angles, et une photo javélisée), ce sont sans conteste les passages musicaux qui sont les plus ratés. Les numéros du Génie perdent énormément de leur dynamisme et de leur folie (Prince Ali doit avoir été volontairement sabotée pour qu'on ait un résultat aussi lamentable, chorégraphies à la ramasse, absence d'interaction entre les habitants et la parade, rares interventions du Génie reprises du dessin animé, interruption et ralentissement de la musique pour une chanson censée exploser en crescendo, un char qui avance d'à peine une rue en trois minutes, pourquoi diable les cinéastes pris par Disney sur ces remakes n'ont-ils aucune expérience dans les comédies musicales?!), les deux réinterprétations de One Jump sont ridicules, mi-chantées, mi-parlées et A Whole New World s'oublie encore plus vite que le reste. Ce morceau culte, magnifié par le savoir-faire de Musker et Clements à allier spectaculaire et intimité, voyant deux personnes disparaître au loin de leurs soucis pour s'évader et (re)tomber amoureux en une nuit, créant une séquence de romantisme et de magie autour d'un couple (re)naissant sur un tapis volant, devient un énième clip-vidéo garni d'images de synthèses moches avec deux acteurs figés aux émotions jamais captées par une caméra qui s'éloigne de leurs visages toujours au mauvais moment (pourquoi la reculer lorsque Aladdin laisse Jasmine guider le tapis? C'était un bon rajout qui n'est même pas mis en valeur).


Il y a, durant la première demi-heure, cet infime espoir de voir quelques concepts respirer (Agrabah redéfinie comme un carrefour culturel) mais peu y arrivent. La romance émergente entre Aladdin et Jasmine se tient presque correctement malgré des personnages aseptisés (l'un perd son arrogance en tant que prince, l'autre n'a plus à manipuler le méchant par son physique grâcieux), on apprécie par exemple que la princesse veuille jouer la comédie plus longtemps pour être égale à son interlocuteur, comme ce dernier le fera plus tard avec elle. Mais tout ça est rattrapé par le déroulement automatique des événements de l'original.


Entre une Caverne aux Merveilles qui n'a qu'une seule salle aux trésors (!), un ciel qui passe de la nuit à un soleil d'après-midi en dix minutes (Jafar a eu le temps de retourner à la capitale, quelle gazelle) et un tapis aussi transparent que tous les sidekicks numériques du film, les chances d'émancipation du remake atteignent le chiffre zéro tandis que les changements ne sont soit pas bien exploités (la libération du Génie se fait au profit d'une vie mortelle sans pouvoirs, ça aurait mérité tellement plus de débats là-dessus), soit inutiles (les origines truandes de Jafar, placées là uniquement pour justifier le vol de la lampe, la scène de la danse qui ne sert à rien du tout), soit stupides (Billy Magnussen pathétique en prétendant caricatural, le tapis revient du bout du monde en deux minutes, on rajoute une servante à Jasmine pour qu'elle puisse se caser avec le Génie, elle est où déjà l'image progressiste de la femme?) soit ne collent pas avec les scènes copiées du film d'animation (Jasmine trop terre-à-terre et réfléchie pour croire aux mensonges d'Aladdin, Jafar trop calculateur pour se faire prendre au piège du voleur, celui-ci qui ne prépare aucun plan pour son arrivée en ville, se débrouille comme un empoté et personne n'a de doute sur son identité).


Mais la grosse blague reste Jafar. Probablement une des plus monumentales erreurs de casting de la décennie, Marwan Kenzari est aussi charismatique qu'une huître faisandée, plus proche d'un jeune premier que d'un grand méchant de cinéma. Au-delà du cast foiré que l'acteur ne pouvait de toute façon pas cacher, le film semble décidé à enlever tout ce que nous aimions en Jafar. Plus de transformation en serpent (entre Maléfique et ça, à croire que quelqu'un dans les studios a une dent contre les méchants de notre enfance), plus de costumes amples qui cachent un corps malingre, plus de plaisir sadique dans ses actes, plus d'intimidation et de terreur (même ses gardes refusent de lui obéir) et plus de déchaînement une fois avoir obtenu la puissance d'un sorcier. Du sabotage vous dis-je.


Mis à part ce gâchis, le casting est peut-être le point le moins raté du film. Mena Massoud incarne un Aladdin très lisse loin de valoir sa version animée mais sa ressemblance avec le personnage et l'humilité qu'il met au service du rôle lui permettent de passer convenablement. Sa partenaire, Naomi Scott, tire son épingle du jeu et arrive à insuffler conviction et force à Jasmine malgré une écriture très limitée (qui obligera bien sûr la princesse à ne pas être autant en péril ou dépendante de son amoureux que dans l'original), sa chanson inédite Speechless ne trouve d'ailleurs de passion que dans la verdeur de l'actrice (qui, miracle, sait chanter). Enfin, Will Smith était attendu au tournant pour succéder à l'inégalable Robin Williams et il s'en tire majoritairement plutôt bien. Au-delà du fait que Alan Menken adapte ses compositions à la tessiture de la star, Smith est lui aussi un showman, un meneur de spectacle, et le rôle lui réussit bien, gâté par quelques gags qui font mouche (la présentation forcée devant le Sultan qu'il sauve à lui-seul, la signature de l'acte pour cautionner le deuxième vœu, Ababwa d'abord changée en Disneyland). On regrettera ses apparitions en CGI qui font mal aux yeux et qui veulent trop faire rappeler le Génie de 92 (le coup du rembobinage très mal mis en scène).


Aladdin est tout ce qu'on attendait de lui, une mauvaise idée confiée à la mauvaise personne pour de mauvaises intentions. N'arrivant même pas au quart du grandiose et du charme du film d'animation, ce remake pâlot est aussi bien incapable de nous faire rêver que de vouloir marquer une nouvelle génération. Mais nous ne sommes plus à un héritage bafoué près faut-il croire.

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le 23 mai 2019

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Walter-Mouse

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