Jasmine +, Aladdin -, le Génie +, Jafar -

En 2019, Disney au cinéma donne sérieusement l’impression de se mordre la queue. Sa reprise en main de la licence Star Wars déçoit, l’univers Marvel est exploité jusqu’à l’os, ses dessins animés de l’année sont des suites et ses films live de succès animés commencent à user de la bonne volonté du spectateur.


Même si c’est un peu inapproprié de le baptiser ainsi, l’effet de nouveauté a fonctionné, le public voulait voir comment le studio remettait au goût du jour ses classiques. Évidemment, la nostalgie est aussi un bon levier pour ceux qui ont connu les originaux. Mais ses films avec de vrais acteurs ont montré rapidement leurs limites, se contentant de quelques modifications ici et là pour adapter leurs propos. Pourquoi refaire le même film dans ce cas, puisque l’original n’était en rien menacé par ces nouvelles versions ? Seul Dumbo a eu droit à un traitement différent, Tim Burton ayant eu un droit d’inventaire qui permet de distinguer les deux films.


Avec Guy Ritchie aux commandes de la version 2019 d’Aladdin, capable du meilleur comme du pire, le spectateur était en droit de se demander ce qui l’attendait.


L’histoire d’Aladdin ne change pas, au moins dans les grandes lignes. Dans un paysage des Mille et une nuit, Aladdin est un voleur, un vaurien sympathique, au grand coeur, toujours accompagné de son malicieux singe, Abu. Il fait la rencontre de la princesse Jasmine, échappée de son palais. Mais peu de temps après il est capturé par le vizir Jafar, qui veut prendre la place du sultan. Il demande au voleur au grand coeur de lui ramener une lampe anodine dans une caverne remplie de trésors. A cause de l’avidité de son singe, Aladdin se retrouve emprisonné dans celle-ci. Mais la lampe contient un génie qui, selon la formule, sera son meilleur ami. Pour conquérir le coeur de Jasmine, Aladdin décide alors de se faire passer pour un prince.


Par rapport au dessin animé, la version live profite d’une quarantaine de minutes supplémentaires, où viendront se glisser les éléments ajoutés pour cette version. La greffe prend plus ou moins, à l’image des quelques modifications des personnages.


Le film se veut plus réaliste, moins enjoué, ce qui était pourtant une des forces du dessin animé. Les farces d’Abu, d’Iago ou du tapis volant sont canalisées, pour ne laisser vraiment que celles du Génie. Le sultan n’est plus ce petit bonhomme bedonnant, c’est un homme d’État maintenant, qui aime sa fille mais pense aussi à son royaume. La version de 2019 veut proposer un film plus crédible, en y incorporant un peu de politique. Le vizir joue sur les menaces aux frontières, prétend vouloir le bien d’Agrabah. Lui ajouter un passé proche d’Aladdin est une bonne idée, mais son côté démoniaque est absent. Il n’en reste qu’un personnage manipulateur et calculateur, qui apparaît bien palot. Il lui manque la démesure de sa méchanceté.


La princesse Jasmine est aussi chamboulée, en faisant du personnage une dirigeante née, que la tradition patriarcale du royaume étouffe. La Jasmine du dessin animé rêvait d’évasion, de sortir de sa condition de princesse ; celle-ci l’accepte mais souffre de ne pas être écoutée. Le film Disney est plus au diapason d’un cinéma moderne, plus féministe. Cette idée est assez bien vue, et ne dénature pas l’original, sur le papier. Pourtant, devant l’écran, son intégration est parfois laborieuse, quand elle ne se fait pas avec de gros sabots. Dans Avengers : Endgame, une scène inutile et faussement épique rassemblait tous les personnages féminins, façon « girl power ». Ici, c’est une nouvelle chanson qui se veut le clou de cette nouvelle orientation. Dans les deux cas, c’est tellement appuyé que personne n’est dupe, merci, on a vu vos efforts Disney, mais ce n’est pas la peine d’en faire tant. Pour Jasmine, c’est son intervention après cette chanson qui est bien plus parlante, bien que moins tape-à-l’oeil, quand elle retourne un personnage dans son camps rien que par ses mots.


Quant au héros Aladdin, le personnage est tellement passé à la moulinette du politiquement correct actuel qu’il apparaît bien vite en retrait. Sa personnalité enjouée, dynamique, toujours prête à aller de l’avant est vite atténuée par le fait qu’il sait que le mensonge de son existence de prince est fragile. Que mentir aux femmes ce n’est pas bien. Alors il geint. Il se plaint de ne pas être un vrai prince ou de ne pas savoir se conduire avec les femmes. Il accumule maladresses sur maladresses, comme avec cette horripilante séquence devant le sultan et Jasmine. Le Génie a beau lui dire que l’important est ce qu’il a en lui, Aladdin fait la sourde oreille et continue sur sa lancée : le film patine dessus. Sa relation avec le grand bleu est approfondie, mais c’est pour démontrer que le personnage a besoin de l’aide du Grand bleu. L’héroïsme de la version animée semble bien loin.


C’est d’ailleurs l’un des principaux défauts du film, il accorde une trop large place à ses personnages. Il veut leur laisser le temps de changer, de s’émanciper, ce qui reste le principal thème des deux versions. Mais la version de Guy Ritchie le fait avec beaucoup trop de discours, en insistant lourdement. Il croit donner de la profondeur aux personnages, mais ne révèle que leurs faiblesses.


La version de 1992 utilisait une simplicité bien plus appréciable, mais surtout offrait à son film un spectacle de tous les temps, dynamique et vivant, à l’image de son personnage. Avec un réalisateur comme Guy Ritchie, habitué aux films où le spectacle prime, il était possible de s’attendre à une version live dynamitée et pêchue. Assez surprenamment, il n’en est rien. Les personnages sont plus importants, les phases d’action sont réduites. Les cabrioles d’Aladdin dans la basse ville sont moins présentes. La tentative de sortie de la caverne n’a plus rien à offrir. La ballade en tapis volant perd de sa magie. Le film ajoute heureusement une nouvelle séquence vers la fin, mais elle ne compense pas un Jafar en petite forme pendant ce temps.


Pour voir du spectacle, du vrai, ce sera grâce aux séquences musicaless. La démesure de ces scènes en 1992 est presque entièrement atteinte dans cette version de 2019, malgré l’emploi de véritables acteurs et animaux, mais aussi beaucoup d’effets spéciaux, c’est vrai. Étant donné l’excellente qualité des musiques d’Aladdin, affadir celles-ci aurait été criminel. C’est bariolé et pêchu, l’inspiration bollywoodienne est forte. Une comédie musicale de la même trempe par Disney serait une prise de risque appréciable.


Il faut reconnaître aussi aux acteurs une vraie présence. La ressemblance physique avec le dessin animé est bluffante, mais les comédiens ont d’autres qualités à offrir. Quel dommage de ne pas voir plus souvent le sourire enjoleur de Mena Massoud, qu’on croirait extrait numériquement du Aladdin de 1992. Naomi Scott, l’actrice qui joue Jasmine incarne à merveille la princesse émerveillée du monde, méfiante ou déterminée. L’alchimie entre les deux acteurs fonctionne assez bien, passant de différents stades, entre l’admiration ou la méfiance, avant que l’amour n’arrive à trouver sa place. L’acteur qui joue Jafar par contre n’accentue pas le côté sournois du personnage, le joue sans qu’aucun charisme ne s’en dégage.


Et le Génie ? Décrié lors des premières bandes annonces, la prestation de Will Smith est pourtant bien réussie, ne salissant pas la mémoire de Robin Williams. Le Génie est la petite touche de folie du film, mais qui aspire aussi à des considérations humaines, l’accent est mis dessus. Will Smith incarne donc la folie du film, mais avec une décontraction plus prononcée. Ce n’est plus la même exubérance, mais le personnage est central, son rôle ayant été lui aussi approfondi.


Au petit jeu des comparaisons, Aladdin garde la même ossature, mais les nouveaux détails viennent se nicher entre les scènes. Rien ne semble avoir été laissé au hasard, et on peut toujours s’interroger sur la pertinence de tels nouveaux personnages, de telles scènes ou des modifications opérées. Le film semble tellement produit, que l’influence de Guy Ritchie semble avoir été minime. Le mot d’ordre semble avoir été d’en faire un film plus réaliste, et tant pis pour la magie du dessin animé. Le personnage de Jasmine prend une nouvelle consistance. Quel dommage que ce soit aux détriments d’Aladdin, qui perd grandement en charisme. Le film est bien réalisé, l’histoire toujours aussi plaisante, mais ce remake live aborde de nouvelles directions avec un peu trop de maladresses.


Un carton jaune à Disney aussi, qui dans sa décision de faire de nouvelles versions à tout va, semble décrédibiliser ses anciennes productions, comme si elles avaient besoin d’être mises à jour, de mieux s’intégrer dans le monde moderne. Dans le cas d’Aladdin, il ne faudrait pas laisser croire que le la version de 1992 soit anti-féministe, là n’est pas son propos.

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le 3 juin 2019

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