Le Mépris m'avait indifféré. A bout de souffle m'avait exaspéré. J'aurais pu m'arrêter là, mais Alphaville m'intriguait. Un film de science-fiction français des années 60 en décors réels et ayant inspiré le nom d'un groupe de new-wave bien naze, voila qui est trop original pour passer à coté.
Et puis dès les premières minutes j'ai su que ça allait être compliqué. En guise d'univers futuriste orwellien promis par la jolie affiche, on a droit à Eddie Constantine et sa nonchalance inexpressive du gars qui attend son chèque, les mains dans les poches dans son trench affreux sorti de Columbo. Une immersion dans le futur qui se limite à deux types en blouse blanche, trois gros plans sur des lumières de périph et néons de galeries Lafayette. On nous parle d'un super-ordi IA omniscient de la mort aux 15 milliards de terminaisons, mais qui se limite à une voix de mourant, deux pauvres micros et un gros plan sur un ventilateur, on dirait la base des aliens dans Plan 9 from outer space. Franchement, y a rien qui ne fasse douter qu'on est bien dans le Paris des années 60, et pas dans le Alphaville du gnégnème millénaire: mêmes voitures, mêmes coiffures, mêmes bâtiments, mêmes looks. Mais pourquoi pas après tout: la SF proche du présent ça existe aussi. Sauf que ce film veut faire croire à un contexte de futur ultra technologique avec mégapoles planétaires, voyages galactiques, superordinateurs intelligents et mondes extérieurs à la clef, et ça confine au ringard. J'ai la sensation qu'au lieu de faire de la SF, Godard se contente d'en singer les codes sans s'emmerder à essayer de faire croire à cet univers, si ce n'est à travers l'utilisation par ses personnages d'une espèce de novlangue désincarnée (les "je vais bien merci je vous en prie" balancés n'importe comment dans les dialogues). On me rétorquera que ce n'est pas l'important, que Alphaville est un essai sur l'importance du langage et de la poésie et que le récit d'anticipation n'y est qu'un prétexte. Sauf que ce genre de détails me font sortir du film, direct, et qu'en plus la poésie m'en touche une sans faire bouger l'autre. Dans le genre "film de SF tourné dans un parking", THX 1138, bien que vieillot dans son discours est carrément plus percutant visuellement.
Restent aussi les figures de style gratuites et inutiles vues d'aujourd'hui. Le son qui part en cacahuètes, les raccords hasardeux, les quelques moments où la pellicule vire d'un coup au négatif, achèvent de donner au film à nos yeux contemporains un petit côté bidouillage gratuit façon Youtube Poop. Et puis, la critique des totalitarismes obscurantistes qui interdisent la pensée et la lecture, ça a fait son temps, on connait ça par coeur (très subtil le gros plan sur un bouton d'ascenseur estampillé "SS").
Alphaville est je m'en doutais bavard, trop bavard pour un film voulant dépeindre une humanité aseptisée. Et on doit se taper le name-dropping godarien habituel, souvent vain (au taxi qui demande où l'emmener, Constantine scande "je voyage au bout de la nuit"... Meh, cool story bro). Les interminables scènes dans une chambre d'hôtel semblent sorties d'A bout de souffle. Même lorsqu'on nous montre une scène de séduction charnelle, il faut se taper un sacré verbiage. A prétendre faire un film sur la poésie, Godard en oublie de faire un film tout court. Et puis franchement, si vous trouvez qu'un Besson en fait des caisses avec sa vision de la femme objet co-conne, c'est que vous n'avez jamais vu un Godard.
Reste une musique sympa et, tout de même, quelques traits d'humour subtil et une facture d'ensemble qui indique que Godard n'est pas un escroc fini. Ca a juste très mal vieilli et ce n'est guère engageant ni palpitant. Perso, je vais m'arrêter là.