Sur les centaines d'heures de rush enregistrés à Macao, les deux cinéastes en ont consacré de nombreuses à filmer ses marchés. Exit le pouvoir fictionnel de la voix-off et du déguisement en film noir, ces 28 minutes enregistrent brutalement (et pourtant non sans ironie) la mise à mort massive d'animaux et le travail à la chaîne de ceux qui les tuent, les découpent, les mettent dans des sacs, pataugeant dans leur sang.

Quelque part, cet exercice documentaire rejoint logiquement l'obsession qui poursuit depuis toujours Rodrigues : la crudité de la chair contre ses fantasmes de cinéma, le sublime poussant à l'intérieur même du grotesque.
Le film débute par un plan sur le talon aiguille de la fille enlevée dans La dernière fois que j'ai vu Macao. Le talon tombe, renversé par un camion charriant sans doute des bêtes, et Rodrigues semble nous dire qu'il ne sera plus question de désir, de hors-champ une fois à l'intérieur... A tort, évidemment, car cela signifierait que les 2 portugais auraient mis de côté leur appétit de cinéma pour n'y réaliser qu'un simple document.

Or, le film ne se fait pas que le portrait glaçant, ce qui serait déjà vu et revu, d'un lieu où la mise à mort industrielle est devenue triviale. Rodrigues réussit ceci de passionnant qu'il retrousse une forme singulière de désir de ses images les plus terrifiantes, à la fois sans complaisance et sans pour autant se dédouaner de l'horreur de leur réalité. Les hologrammes de la sirène et du poisson-lion de leur autre film s'impriment dans l'eau bouillante d'un stand de crustacés, une anguille découpée de moitié gigote sur place dans un mouvement hypnotique, un tonneau en plastique stockant des cadavres de poulets se déplace seul sous les derniers coups d'ailes nerveux des agonisants... comme s'il demeurait possible de trouver au fond de ces images de chairs dépecées, à la fois une dimension poétique et son double grotesque.

Le film commence à l'ouverture du marché et se clôt par le nettoyage des locaux. On nettoie le sang des bêtes avant que la prochaine aube ne vienne à nouveau faire répandre le rouge vermeil sur les étals. Ce cycle, comme les fantasmes de cinéma, ne meurt jamais - la sirène numérique continuera à agiter sa queue jusqu'à la nuit des temps.
Loryniel
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le 14 juin 2013

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