River Rites ou la jonction inouïe, éblouissante entre les plans-séquences animistes de Weerasethakul et le regard d'ethnologue de Jean Rouch.
Russell, qui a visiblement vécu 2 ans au bord du fleuve Suriname, avait préparé pour un autre long-métrage (Let Each One Go Where He May) un long plan-séquence en steadycam, enregistrant un moment du quotidien d'enfants, pêcheurs, laveuses, jouant ou travaillant dans ou autour de l'eau.

Russell a eu cette idée toute simple : plutôt que l'intégrer comme une séquence de son long-métrage, il a choisi de l'isoler et de la travailler différemment, en inversant la chronologie, si bien que la fin de la dernière bobine marque le début de la diégèse. En remontant littéralement le temps à contre-courant, en faisant ainsi de chaque mouvement une aspiration, des plongeons d'enfants des giclements hors de l'eau, au rythme de bourdonnements post-rock, en tirant vers nous comme une couverture d'enfant bordé un temps dont on connaît déjà sa fin, le parcours du film nous ramène vers sa naissance. Mais sa surprise et sa beauté ne proviennent pas que de là. Son mouvement à rebours fait planer au-dessus, pour ne pas dire en lui, en son corps sacré (on associe facilement le fleuve à un espace mystique, même lorsqu'il y filme les choses les plus triviales) un autre corps fantomatique à la manière de Weerasethakul. Ce rebroussement du temps est peut-être le sortilège du Dieu du Fleuve, dont la colère ou la bienveillance l'aurait poussé à mettre à l'épreuve nos émotions face à un nouvel ordre du temps. Marker aurait adoré.
Ben Russell, je te tiens !

Courte interview, mais très éclairante :
http://blog.cinemadureel.org/2012/03/30/journal-du-reel-8-river-rites/
Loryniel
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le 2 févr. 2013

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