Comment aborder le génie de Wolfgang Amadeus Mozart ? Milos Forman et son scénariste Peter Shaffer, auteur de la pièce dont est tiré le long-métrage, refusent l'hagiographie étouffante et guindé pour proposer plutôt une vision explicitement libre de la vie du compositeur.


Dès les premières minutes, Forman initie un recul avec la vie du compositeur autrichien en choisissant de la raconter au travers des souvenirs de Salieri. Au moyen de ce procéder scénaristique, AMADEUS se départie de l'académisme quasi intrinsèque du film à costume. La vision de Mozart se fera à l'aune du point de vue - donc subjectif et biaisé - de son "rival". Le montage s'articule d'ailleurs autour de cette idée de mémoire. Chaque séquence s'ouvre et se clôt sur un vieux Salieri convaincu de sa damnation dont les coupes sont reliées par une composition de Mozart. Idée de mise en scène poussé à l'extrême par le rôle intra diégétique ou extra diégétique de la musique, parfois confondu lors de ces coupes. Cette musique convoque ainsi les souvenirs du compositeur italien et nous plonge dans sa psyché. La forme d'AMADEUS se veut limpide quant aux intentions de Forman, il ne voit dans la vie de Mozart que le moyen d'y aborder ses thématiques.


Ce constat effectué, la question n'est dès lors plus "Comment aborder le génie de Mozart ?", mais plutôt "Qu'est-ce que le génie ?" La confrontation existant entre les deux compositeurs n'est que le réceptacle d'une interrogation sur l'Art et la création artistique dont Forman développe les enjeux. Conditionnés à la vision de Salieri, nous comprenons qu'il reflète l'honnête technicien, exigeant et efficace, bloqué par sa vision étroite de la musique. Pour autant, de par sa culture et ses qualités artistiques, il n'en demeure pas moins un auditeur passionné. Le rapport qu'entretient alors Salieri avec Mozart s'avère des plus ambiguës : il l'admire autant qu'il le déteste. L'Autrichien ébranle toutes ses convictions puisque, défaut de sa qualité, il reconnaît dans les compositions de Mozart le génie qu'il n'a pas. Il voit en lui le reflet de sa propre défaite artistique, car gratifié du don qu'il pensait avoir. Pour Mozart, montré comme un homme extravagant, presque punk, dans ce décorum fastueux et aux normes artistiquement restrictives, la composition, c'est vivre pleinement. Même s'il recherche l'approbation de ses confrères, il ne recherche finalement qu'à extraire ses émotions et ses traumatismes par la musique qui se révèle en conséquence honnête et non conventionnelle.


Pour Forman, le génie ne peut être qu'un don à travailler avec honnêteté. Par-là, il dépeint le génie comme une sorte de transcendance tant de l'Art que de la personne. Certes, Salieri se remet en question pour toutefois ne se poser qu'en victime, au lieu de chercher à revoir sa méthode ou aller au-delà de ses acquis. Le don, dans AMADEUS, semble toutefois à double tranchant tant il consume Mozart de l'intérieur. Salieri se perd également dans le folie, se dédoublant dans le but de détruire son confrère, il se laisse dévorer par l'envie et la jalousie. Forman enrichit par conséquent son long-métrage d'une réflexion consciencieuse de l'Art tout autant comme une élévation qu'une descente implacable dans l'enfer de son moi intérieur. A ce titre, la composition de La Messe des Morts est un pur moment de cinéma. Tout converge à nous rendre envieux de ce don alors que Forman y dépeint la dimension cathartique et exténuante de la création artistique.


Alors que le Lacrimosa de Mozart résonne en nous-mêmes, AMADEUS se conclut dans une tragédie où l'on rie jaune de la déchéance d'un artiste depuis oublié et de l'ascension d'un autre dont le génie ne cessera jamais d'être célébré parce qu'il avait le don.

Seenzek7
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste 2022 : CINEMA

Créée

le 14 févr. 2022

Critique lue 13 fois

Seenzek7

Écrit par

Critique lue 13 fois

D'autres avis sur Amadeus

Amadeus
Grard-Rocher
9

Critique de Amadeus par Gérard Rocher La Fête de l'Art

"Pardonne Mozart, pardonne à ton assassin!" C'est le cri de désespoir d'un vieil homme usé et rongé par le remords qui retentit, une triste nuit de novembre 1823 à Venise. Ce vieil homme est Antonio...

176 j'aime

68

Amadeus
Alex-La-Biche
9

Mozart Fucker

Moi, je m'en tamponne la clarinette de Mozart. D'autant plus qu'il ne s'agit même pas d'un vrai biopic sur le compositeur, mais simplement d'une adaptation éponyme d'une pièce de théâtre signée Peter...

le 22 oct. 2014

117 j'aime

36

Amadeus
jaklin
9

La pesanteur et la grâce

Un film sur la musique classique ?! Et qui a eu du succès… C’est suffisamment rare pour lui consacrer un peu d’attention. Ce film est enthousiasmant pour plusieurs raisons et on oubliera la sagesse...

le 2 sept. 2018

71 j'aime

50

Du même critique

The Vast of Night
Seenzek7
7

La nuit, on vous écoutera

Un petit film de science-fiction au très joli titre et au postulat fort sympathique, ça attire l'œil. Alors, avec quelques excellents retours et une proposition cinématographique réduite, pourquoi...

le 23 juil. 2020

4 j'aime

The King of Staten Island
Seenzek7
7

Doux-amer

Judd Apatow a récemment déclaré dans Cinemateaser (magazine que je vous encourage à lire de toute urgence) qu'il fallait arrêter de séparer comédie et drame. Et ma foi, ce monsieur a tout fait...

le 5 août 2020

3 j'aime

Pachinko
Seenzek7
9

Ou l'art de la résilience

A la définition du mot “sublime”, il risque dorénavant d’y avoir une occurrence à la série d’Apple, PACHINKO. Par sa sobriété et sa justesse, elle atteint des sommets d’émotion pour, à bien des...

le 28 juin 2022

2 j'aime