Excellent film de gangsters qui, malgré sa réalisation en 2007, s’inscrit pleinement dans la grande tradition des films criminels des années 1970, avec son New York poisseux, violent, rongé par la corruption, et une Amérique en pleine décomposition morale à la fin de la guerre du Vietnam.
Au-delà de la reconstitution historique très soignée, American Gangster développe une idée frappante : Frank Lucas n’est pas seulement un criminel, il est l’incarnation d’un modèle économique américain poussé à son extrême. Il applique les principes du capitalisme — intégration verticale, contrôle de la chaîne d’approvisionnement, élimination des intermédiaires, branding, gestion familiale — avec une rigueur que ne renierait aucune grande entreprise. En face, Richie Roberts apparaît comme la mince ligne morale encore possible dans un système où police, politique et armée sont profondément gangrenées.
Le duel entre les deux hommes ne relève donc pas seulement du film policier : il interroge la frontière poreuse entre réussite et criminalité, et montre comment l’Amérique de l’époque (et peut-être d’aujourd’hui) fait du crime organisé une simple déclinaison de son propre rêve de prospérité.
Les interprètes sont tous excellents, Denzel Washington et Russell Crowe en tête, chacun composant un personnage tout en nuances, l’un dans la maîtrise froide et la logique entrepreneuriale du crime, l’autre dans une droiture obstinée presque anachronique.
Malgré sa durée — 2h56 dans la version director’s cut — on ne s’ennuie pas une minute. Ridley Scott opte pour une mise en scène étonnamment sobre, loin de la grandiloquence dont il est parfois coutumier, mais d’une efficacité redoutable.