Amy
7.2
Amy

Documentaire de Asif Kapadia (2015)

Ce documentaire ne retrace pas le parcours de Amy Winehouse dans son intégralité mais tente de cerner le personnage, d'en déchiffrer les codes et les limites et d'expliquer l’inexplicable. Ce n'est pas un biopic de l'enfance jusqu'à la mort mais un hommage posthume de sa vie "musicale" débridée et décousue, qui montre toutes les facettes et souvent les plus dures de cette exceptionnelle chanteuse de jazz, pour démystifier l'artiste. Fan de la mystérieuse Lady rétro ou simple néophyte curieux d'en apprendre plus, vous serez conquis par les nombreux témoignages, images/vidéos d'archives, chansons traduites, instants de vie clairsemés de bonheur ou terrassés par la souffrance et autres moments véritables. On peut sortir de ce film en se disant "bordel, on est tous les meurtriers d'Amy", ou mettre ça sur le compte d'une succession de mauvaises rencontres et de mauvais choix. Son rapport à l'image était de toute évidence désastreux. Et si les choses n'avaient de toute manière pas pu se passer autrement ?


Parce que Amy a voulu prendre le parti de montrer comment elle a pu en arriver à mourir seule, dans une chambre, et comment personne n'a pu contrôler ça, arranger les choses, alors qu'à 18 ans à peine, elle était l'une des plus incroyables chanteuses au monde. On lui assurait une vie sensationnelle, elle qui n'a jamais voulu être reconnue. Ce documentaire joue la carte de l'authenticité avec des premières dizaines de minutes belles et émouvantes, puis une entrée rapide dans le star system qui la mènera définitivement à sa perte. Personne n'est épargné ici, ni son père, ni ses proches impuissants, et encore moins l'amour de sa vie, ou plutôt le sel de son existence, Blake Fielder, véritable bombe en puissance et accélérateur de la lente agonie de Amy Winehouse. Il est le dérapage incontrôlable, le symbole d'une fissure grandissante, la personnification des fantômes de son passé, de ses erreurs. Back to Blake, elle reviendra pour toujours à cette passion dévorante, elle vivait avec lui, à travers lui, pour lui, elle lui appartenait. Comme elle appartenait à tout ce qu'il pouvait représenter, toutes les dérives possibles, même après leur séparation. Back to Blake, jusqu'à sa mort. Car c'est cette fatalité incurable qui plane durant tout le film, celle de se dire que ce n'était pas vraiment "un gâchis" tellement sa perte était actée. La chanteuse confiait ne savoir rien faire d'autre que de la musique. Toujours à contre-courant, torturée et profondément malheureuse, elle cherchait dans la drogue, l'alcool, la boulimie, la passion dévastatrice un moyen d'exister ou, plutôt, de résister au vide intersidéral dû à son rapport à l'existence. Elle n'a jamais trouvé sa place, résolument pas faite pour ce monde, pas "comme ça".



On ne peut pas forcer quelqu'un qui ne souhaite pas guérir.



Amy Winehouse avait un cœur immense, marchant à l'envers et selon des battements très irréguliers, la faisant passer d'une extrémité à l'autre comme une bipolaire en fusion. Elle a senti très tôt qu'elle était différente, qu'elle aurait un mal éternel en elle, et la musique lui a permis d'exorciser ses démons et de les jeter à la face du monde. Cet Amy de Asif Kapadia est bouleversant car il retrace, avec beaucoup de vidéos de la sphère privée et de moments off, le parcours d'une femme blessée depuis toujours, d'une héroïne complexe, d'une artiste unique dont on doit se rappeler. Cette femme perdue au milieu d'une célébrité qu'elle aurait tout fait pour faire disparaître, même contre sa musique disait-elle. Il y eut cette petite mort, en Serbie, lors d'un concert où, ivre et défoncée, elle a décidé de ne pas chanter et de laisser sa tournée en plan, devant une foule médusée. Elle disait vouloir profiter du mariage de son meilleur ami. C'était ça, Amy Winehouse, fuyant les responsabilités et les comportements normaux ; une incivile au cœur pur. Et Amy, malgré un discours parfois surfait, superficiel et discutable (une grande partie du film est ce que Amy elle-même détestait, la starification, les paparazzis, l'insistance sur ses faiblesses, parler peu de musique et beaucoup de sa vie), une enfance passée à la trappe (pourtant essentielle, et ce n'est pas tout mettre sur le dos du père qui expliquera ceci ou cela) ou les témoignages de Blake (insupportable...), montre parfaitement ce côté insensé, imprévu, irrésistible, auto-destructeur et en décalage complet avec la réalité, cette femme si sensible, sûrement trop, authentique dans tout ce qu'elle entreprenait ou disait, qui n'a jamais su gagner face à ses propres démons ni trouver sa propre identité. Et ses chansons, ces appels au secours à peine masqués, resteront toujours sans réponse, et cet amour des hommes, et cette absence de l'homme. RIP, grande dame.


https://www.youtube.com/watch?v=nMO5Ko_77Hk
https://www.youtube.com/watch?v=TJAfLE39ZZ8
https://www.youtube.com/watch?v=b-I2s5zRbHg

EvyNadler

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