Durant l'an 2018, j'ai décidé de me lancer le défi "Un film par jour".


Cette expérience aura été enrichissante à bien des égards


Il est notable qu'à certains moments, cette contrainte s'est assimilée à du gavage.


Aujourd'hui, j'ai ralenti ma fréquence de consommation de film.


Et j'ai vu une œuvre magnifique qui, noyée dans la masse, aurait pu voir son impact sur ma personne amoindri, étouffé.


An Elephant Sitting Still a un regard désabusé, mélancolique et profondément humain sur ses personnages, sur le monde.


Tout y est de l'ordre du pessimisme magnifié dans cette ville morte.


A l'image de cette cage à singe, il faut en faire du chemin pour s'extirper d'un quotidien, d'une existence, de soi-même.


Tout est d'un espoir évanescent, dans l'air, comme le flottement d'un souffle de vie si faible et si fort à la fois.


Ces personnages, ce sont des représentants d'une humanité qui rejette ses propres enfants.


Ce contexte, c'est celui du déterminisme où de toute façon, quand une école menace de fermer, on explique aux élèves qu'ils finiront leur vie sans ambition aucune.


C'est celui d'un vieux que l'on préfère voir dans un mouroir que dans sa propre demeure.


C'est celui de la mort en solution.


Ce déterminisme, c'est celui d'un suicide social.


Ce déterminisme, c'est celui qui, d'un appel à l'aide, enfante d'une défenestration.


C'est celui de la vengeance, du "j'aime pas mon frère mais je peut pas rester sans rien faire".


Et Hu Bo de le magnifier, par la caméra, le montage, la narration.


Ce film est magnifique parce que le réalisateur s'adresse à moi, parce que le réalisateur m'a permis
d'entrer dans sa psyché, donnant tout son sens à sa démarche.


Ce film, c'est la beauté d'un barrissement calme qui retentit dans le silence de ces destinés.


C'est une expérience, qui m'a faite pleurer quand un vieil homme entre dans une maison de retraite, qui m'a faite vibrer quand une arme à feu rencontre un adolescent détruit, qui m'a rendu béa d'admiration pour la beauté des plans-séquences qui développe, durant 3h50, la vie d'hommes et de femmes comme moi.


C'est une expérience qui révèle la cruauté de l'homme, une expérience sensorielle et émotionnelle qui s'étend au rythme des récits entrecroisés de personnages si proches et pourtant si loin.


C'est une œuvre pachydermique quant à sa durée qui m'a paru passer en quelques secondes de poésie mélancolique.


Harmonie du soir


Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !


Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.


Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.


Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !


Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal


Sans voix/10

Jekutoo

Écrit par

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8

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